«Je demande pardon, même si ce n’est pas pardonnable…» Que va faire de ces paroles, Gisèle Pelicot, 72 ans, violée par des dizaines d’hommes alors qu’elle se trouvait inconsciente, chimiquement soumise, livrée par son mari à des inconnus entre juillet 2011 et octobre 2020?
Comment pardonner à celui qui, revenu dans le box des accusés après plusieurs jours d’incapacité médicale, symbolise aujourd’hui ce que la France refuse peut-être de voir: une réalité masculine problématique. Un gouffre de pulsions sexuelles sur lequel le procès emblématique des viols survenus à Mazan (Vaucluse) se penche depuis le 2 septembre dans la principale salle d’audience du palais de justice d’Avignon?
L’homme qui a demandé pardon à son ex-épouse, ce mardi 17 septembre, Dominique, est revenu avec peine de l’hôpital pénitentiaire où il était examiné, depuis plusieurs jours, pour des douleurs abdominales et rénales. Un violeur? Le public qui scrute le moindre de ses gestes, depuis l’ouverture du procès, avec 50 autres co-accusés, âgés de 26 à 74 ans, est chaque jour confronté à cette question.
Vingt ans de réclusion
Le septuagénaire qui risque vingt ans de réclusion criminelle est incontestablement un pervers. Un malade. Son arrestation, intervenue dans un supermarché alors qu’il tentait de photographier sous les jupes de clientes, a démontré ses déviances mais comment expliquer qu’une cinquantaine d’hommes, parfois pères de famille, ont répondu aux petites annonces qu’il postait sur internet pour recruter des partenaires sexuels pour sa femme inconsciente afin d’assouvir son voyeurisme acharné?
En 2016, un rapport du Haut Conseil français de l’Égalité Hommes-Femmes avait pourtant tiré le signal d’alarme. L’un de ses rapports (rapidement mis sous le boisseau) dénonçait la «grande tolérance sociale» dont bénéficie encore le viol dans la société française. Le contenu de cette enquête menée par des psychologues, des médecins et des travailleurs sociaux était implacable. Le viol est, en France, pouvait-on lire «un phénomène massif».
Une pandémie de violences sexuelles
Plus grave: cette pandémie comportementale bute, selon ce document, sur les lacunes des «condamnations sociétales et judiciaires». Interrogée par Europe 1, la psychiatre Muriel Salmona, présidente de l’association «Mémoire traumatique et victimologie» avait alors pris la parole en donnant des chiffres qui font froid dans le dos: 83'000 femmes adultes déclaraient, en 2013, avoir été victimes de viols ou tentatives de viols, selon les chiffres publiés par l’Observatoire national des violences alors que seuls 1% des viols font l’objet d’une condamnation. Et ce, malgré les campagnes de prévention. Pire: le chiffre reste, dix ans après, à un niveau très alarmant: 60'898 cas de violences sexuelles ont, en 2023, fait l’objet de plaintes auprès de la police française.
Comment l’expliquer? Ce samedi, des manifestations de soutien ont eu lieu à travers la France, pour venir en aide à Gisèle Pelicot. Le mot d’ordre de ces marches: «Que la honte change de camp.» Parce que le silence est souvent le meilleur complice des violeurs, ou des déviants sexuels: «La honte devrait être inscrite sur le front de ces violeurs dont on aura donné les noms», a asséné, au palais de justice d’Avignon, l’avocate de la défense. Et ce, alors qu’à l’extérieur, des dizaines de femmes se tiennent chaque jour avec des panneaux, en soutien à la victime: «On est toutes Gisèle», «Violeur on te voit, victime on te croit», «Tu n’es plus seule», peut-on lire.
Plusieurs affaires de viols ont défrayé la chronique en France ces dix dernières années. Une décennie durant laquelle, il faut le souligner, le nombre des personnes condamnées pour viol a chuté de 40%. Pourquoi? Parce que les exigences judiciaires en matière de preuves sont devenues plus fortes. En 2015, un homme de 40 ans est mis en examen à Evry (sud de Paris) pour 33 viols, tentatives de viols et agressions sexuelles commis entre 1995 et 2000, pour la plupart dans la forêt de Sénart (Essonne). En 2011, un ingénieur informaticien, âgé alors de 38 ans, Mourad Jamra, a été condamné à 20 ans de réclusion pour les viols et agressions sexuelles de 21 femmes entre 2005 et 2007 à Grenoble.
Accusation très médiatique
Mais le viol est aussi une accusation très médiatique, poussée sur le devant de la scène par la vague #Metoo. Des stars comme Gérard Depardieu ou Patrick Poivre d’Arvor attendent un procès. Le prédicateur Tariq Ramadan vient d’être condamné en appel à Genève et se retrouvera bientôt devant un tribunal en France. Récemment, un sénateur a été pris en flagrant délit de tentative de coercition chimique d’une députée. L’animateur de radio Cauet a aussi été mis en examen pour viols.
Recruteur de violeurs
Comment faire exister, dans ce contexte, un processus judiciaire indépendant, qui ne soit pas «pollué» par l’ambiance du moment? «Si on n’aborde pas le volet personnalité dans ce dossier-là, on ne l’aborde dans aucun dossier», plaident les avocats de la défense. Comment peut-on à la fois, à l’heure des réseaux sociaux et de la transparence, être «un père et mari parfait», mais aussi un recruteur de candidats violeurs.
Depuis son arrestation en septembre 2020, l’accusé principal du procès de Mazan n’avait revu sa femme qu’une fois, en novembre de cette année-là. Il n’a, depuis lors, que des contacts avec son avocate. Il s’est retrouvé, au tribunal, devant sa famille anéantie et dévastée. Et face à ceux auxquels il proposait son ex-épouse, inconsciente, sous sédatifs puissants. Celle-ci, courageuse, n’a pas voulu le huis clos judiciaire. Pour que sa descente aux enfers puisse servir d’exemple.