«On n'a plus de dents, mais aujourd'hui, on a le moral.» Avec la confirmation des peines de prison prononcées en première instance pour les deux dentistes marseillais qui les ont mutilées à vie, la satisfaction reprenait le dessus vendredi chez leurs quelque 400 victimes.
Huit ans ferme pour Lionel Guedj, 43 ans, maintenu en détention, et cinq ans pour son père Jean-Claude, alias «Carnot», 71 ans, qui comparaissait libre: la cour d'appel d'Aix-en-Provence a confirmé le jugement du tribunal correctionnel de Marseille, après plus de dix ans de procédure.
Mutilation et escroqueries
Contre les deux hommes, condamnés pour «violences suivies de mutilation ou d'infirmité permanente, escroqueries aux organismes sociaux et faux et usage de faux», la cour a également prononcé une interdiction définitive d'exercer l'activité de chirurgien-dentiste, a précisé un communiqué du parquet général.
Estimant que «dans ce dossier d'une exceptionnelle complexité, la cour n'a pas fondé juridiquement sa décision», Me Julien Pinelli, avocat de Lionel Guedj, a annoncé le dépôt, «dès aujourd'hui», d'un pourvoi en cassation.
Les magistrats aixois, qui s'étaient déplacés dans la salle des procès hors norme du tribunal de Marseille, ont été moins sévères que souhaité par l'avocat général. Fin juin, Patrice Ollivier-Maurel avait requis 10 ans d'emprisonnement ferme contre Lionel Guedj, la peine maximale possible pour ces faits. Mais ils ont été plus stricts au niveau financier.
2,2 millions d'euros d'œuvres d'art
La cour a ainsi confirmé les confiscations déjà ordonnées, qui visaient des biens immobiliers, des véhicules, un bateau, des comptes bancaires et des œuvres d'art pour un peu plus de 2,2 millions d'euros. En prime, elle a décidé la saisie du domicile familial de Lionel Guedj, une villa dans la campagne aixoise évaluée à 936'000 euros, et celle d'un florissant débit de tabac sur le Cours Mirabeau à Aix-en-Provence. Des éléments de patrimoine que le prévenu avait transférés à son épouse et leurs enfants au début de l'enquête.
Installé dans un des quartiers les plus pauvres de Marseille, de 2006 à 2012, le cabinet de Lionel Guedj était «une machine à fric fonctionnant à plein régime», avait dénoncé l'avocat général.
80'000 euros mensuels
Incarcéré depuis le 8 septembre 2022, Lionel Guedj avait dévitalisé 3900 dents saines chez des centaines de patients, pour ensuite poser des bridges très rémunérateurs. Le tout aux frais de la sécurité sociale et des mutuelles. Devenu en cinq ans le dentiste le mieux rémunéré de France, il roulait en Ferrari et s'octroyait entre 65'000 et 80'000 euros de revenus mensuels.
C'est en visioconférence, de la maison d'arrêt de Draguignan, que l'ancien dentiste a assisté à la lecture de l'arrêt. Manipulant un élastique, il est apparu visiblement tendu durant l'heure qu'a duré la lecture de la décision.
Jean-Claude Guedj, dentiste en fin de carrière, était lui poursuivi pour avoir prêté main-forte à son fils en assurant «le service après-vente auprès des patients qui souffraient». Présenté par l'avocat général comme «le vieux renard au service du jeune loup», il avait été remis en liberté en mars, après cinq mois de détention provisoire.
C'est sous les applaudissements des victimes présentes vendredi qu'il a quitté le tribunal dans un fourgon de l'Administration pénitentiaire, pour retourner en prison.
374 victimes
Cet arrêt de la cour d'appel était très attendu par les 319 parties civiles, pour 374 victimes au total, dont un grand nombre avaient témoigné de leur calvaire à la barre. Autant de vies gâchées pour lesquelles le Fonds de garantie des victimes devrait débourser des millions d'euros d'indemnisations.
«Je suis très très content, on est enfin arrivé à la fin», s'est réjoui Madir Sali, électricien retraité qui souffre toujours d'infections et d'éprouvantes douleurs dentaires. «C'est un jour exceptionnel, un jour de bonne justice qu'on attendait avec impatience depuis quatorze ans», a résumé une femme.
Mutilée à l'âge de 16 ans, Besam Djilali, 34 ans, espérait une peine de dix ans d'emprisonnement pour Lionel Guedj. Mais elle estime justifiées les confiscations supplémentaires: «Qu'on lui enlève tout, qu'il se retrouve à terre, c'est normal».
A côté d'elle, une femme, silencieuse, montre la photo de sa bouche ravagée, alors qu'il a fallu lui ôter récemment tous les bridges posés par Lionel Guedj. On voit sa mâchoire supérieure, avec les dents taillées en pointe: «J'y étais allée pour une carie», explique-t-elle.
(AFP)