La France a donc un nouveau gouvernement, dirigé par le Premier ministre conservateur Michel Barnier, 73 ans. L’annonce de ce cabinet a été faite, comme la tradition le veut, par le Secrétaire général de l’Élysée Alexis Kohler dans le Jardin d'hiver.
La trentaine de ministres nommés penchent nettement à droite, ce qui n’est pas surprenant, compte tenu du refus de la gauche de participer à cette aventure politique délicate. Le nouveau gouvernement sera en effet minoritaire, sans possibilité de réunir une majorité absolue de députés (289 sur 577) à l’Assemblée nationale.
Peut-il tenir? La France va-t-elle enfin apprendre le compromis? La possibilité d’une motion de censure qui forcerait le gouvernement au départ est-elle écartée? La réponse à toutes ces questions est simple: Michel Barnier n’a, pour l’heure, aucune assurance de pouvoir se maintenir au pouvoir. Voici pourquoi.
L’écueil N°1: A droite toute
Un nom résume l’équation gouvernementale choisie par Michel Barnier: celui du nouveau ministre de l’Intérieur Bruno Retailleau, 63 ans, jusque-là leader de la droite traditionnelle au Sénat. Le successeur de Gérald Darmanin est connu pour sa défense intransigeante d’un agenda conservateur, voire réactionnaire, et pour ses positions sur les migrants proches de la droite nationale populiste. Michel Barnier a d’ailleurs promis une nouvelle loi sur l’immigration. Cette image d’un gouvernement «à droite toute» contredit la demande d’une «union nationale» formulée par Emmanuel Macron. A quoi bon, alors, avoir fait barrage au Rassemblement national (RN) entre les deux tours des législatives des 30 juin et 7 juillet si l’agenda de celui-ci est mis en œuvre?
L’écueil N°2: Macron, confiance zéro
Michel Barnier est un Premier ministre que beaucoup d’observateurs considèrent en sursis. Pourquoi? D’abord parce qu’il n’a pas de majorité à l’Assemblée nationale, mais seulement une «base parlementaire» d’environ 150 députés. Ensuite parce que rares sont ceux qui, au sein du monde politique français, font encore confiance à Emmanuel Macron. Le président français a perdu son pari de la dissolution de l’Assemblée nationale le 9 juin, puisque son camp a perdu plus d’une centaine de députés. Il ne peut pas se représenter pour un troisième mandat en mai 2027. Il vient de renoncer à reconduire le commissaire européen sortant Thierry Breton, sur l’exigence de la présidente de la Commission Ursula von der Leyen. En s’alignant sur la droite, à laquelle il lie désormais son destin politique, Emmanuel Macron est en sursis.
L’écueil N°3: Les caisses sont vides
Le projet de budget pour 2025 aurait dû arriver en Conseil des ministres cette semaine, et être débattu à l’Assemblée nationale dès le 1er octobre. Pour l’heure, tout est retardé. Et Michel Barnier sait que la pression des marchés financiers est forte. La France est, depuis le 19 juin, sous la surveillance de la Commission européenne pour son déficit public excessif (il pourrait atteindre 6% pour 2024) et dette publique record (3100 milliards d’euros soit 113% du produit intérieur brut). Revoilà donc venue l’heure d’une nouvelle salve d’impôts, sans doute sur les classes les plus aisées. Ceci, alors que le Rassemblement national va proposer à l’Assemblée le 31 octobre l’abrogation de la réforme des retraites. Pour rappel, un chiffre: entre 25 et 30 milliards d’euros d’économies sont nécessaires sur un total de 505 milliards. Il faudra donc couper. Mais où? Et comment?
L’écueil N°4: La gauche accuse
Jean-Luc Mélenchon, le leader de la gauche radicale, tire à boulets rouges. Et sur ce point, il n’a pas tort. Dans un autre pays européen, dans un régime parlementaire, le président de la République aurait désigné une personnalité issue de la gauche pour former un gouvernement, quitte à ce que cela s’avère impossible. Pourquoi? Parce que l’Union de la gauche – le Nouveau Front populaire – est bien sortie victorieuse de justesse des législatives anticipées. Les partisans du président de la République rétorquent que le social-démocrate Bernard Cazeneuve, qu’il a consulté et envisageait de nommer Premier ministre, a été boycotté par les groupes de gauche. Le Parti socialiste est le premier accusé d’avoir refusé une possible «union nationale». Et maintenant? Comment voteront les députés de gauche à l’Assemblée? La France Insoumise de Jean-Luc Mélenchon (gauche radicale) a déjà annoncé le dépôt d’une motion de censure.
L’écueil N°5: Barnier, patron contesté
S’il veut réussir, Michel Barnier doit s’imposer. Il doit imposer la discipline à ses ministres. Il doit tenir face aux exigences de la droite, son camp politique d’origine. Il doit convaincre les centristes et les macronistes de lui faire confiance, tout en affichant ses distances avec le président de la République. Lequel parle d’une «coopération exigeante» au sommet de l’État. Problème: Barnier sera-t-il le patron? Rien n’est moins sûr. Son ministre de l’Intérieur Bruno Retailleau est aujourd’hui beaucoup plus puissant. Le chef du parti «Les Républicains» Laurent Wauquiez aussi. Et du côté présidentiel, l’on n’a pas trop envie de voir Emmanuel Macron relégué au rang de président passif, sans prise sur le pays. Michel Barnier, premier ministre en transit. C’est le risque. Avant une prochaine dissolution de l’Assemblée, qui sera à nouveau possible à partir de juillet 2025.