«Les policiers sont arrivés à 7h et nous ont dit 'Montez dans le bus', on n'avait pas le choix», raconte Ali, envoyé comme d'autres réfugiés en banlieue de Toulouse, dans le sud-ouest de la France. Quatre jours plus tard, il était de retour dans un squat insalubre près de Paris. Un matin d'avril 2023, ce réfugié soudanais en situation régulière en France voit surgir des centaines de policiers dans des locaux désaffectés du squat où vivaient 500 personnes sans domicile.
Le site, à proximité du futur village des athlètes des Jeux olympiques, en région parisienne, est démantelé à la hâte, se souvient le quadragénaire, qui erre de squat en squat depuis des années, faute de logement malgré ses 1'400 euros par mois comme homme de ménage dans un hôtel de Disneyland. «Ils ont fait du porte-à-porte pour nous dire de sortir, puis ils ont pris nos cartes d'identité et dit: 'montez dans le bus'. C'était impossible de s'échapper, ils nous disaient de nous dépêcher», raconte l'homme, fourbu, rencontré par l'AFP dans un nouveau squat, des bureaux abandonnés au sud de Paris où s'entassent plus de 400 migrants, en passe, eux aussi, d'être évacués.
Ali apprend sur la route qu'il part pour Toulouse, une ville dont il ignore tout. Sur place, il est amené dans un centre d'hébergement pour demandeurs d'asile. Quelques heures après son arrivée, il apprend qu'il ne pourra pas rester plus de quatre jours.
Le maire d'Orléans s'insurge
Il a déjà obtenu l'asile et n'a donc rien à faire là, lui annonce-t-on, comme à «17 autres réfugiés» qui sont montés dans le bus avec lui, se souvient-il. «J'ai expliqué que je ne savais pas où aller, que je ne connaissais personne, mais on m'a dit 'c'est pas notre problème'», se remémore Ali. Il débourse 90 euros dans un billet retour pour Paris et réussit à sauver son emploi dans le parc d'attraction. Ali n'est pas un cas isolé. Depuis de longs mois, le collectif le Revers de la médaille, qui regroupe quelque 80 associations, alerte sur le sort des personnes à la rue dont les camps de fortune sont démantelés à un rythme plus soutenu à l'approche des JO selon eux.
Le collectif déplore le manque de concertation avec les acteurs de terrain pour trouver une solution digne et pérenne, et le silence des autorités. Le maire d'Orléans (centre) Serge Grouard a, lui, dénoncé lundi l'arrivée «en catimini» de migrants dans sa ville pour faire «place nette» à Paris avant les Jeux de cet été (26 juillet-11 août). Le ministre français chargé du Logement, Guillaume Kasbarian, a assuré que la mise en place d'une «politique de desserrement» de la région parisienne, au vu du manque de logements, était «sans aucun lien» avec l'un des plus grands événements sportifs planétaires.
Au total, «3800 personnes» ont trouvé «refuge dans des sas régionaux» (dix centres d'accueil temporaires ouverts en région depuis le printemps 2023), a ajouté le ministre délégué, interrogé à l'Assemblée nationale.
«Un nettoyage social»
«Clairement, depuis l'arrivée des JO, il y a un éloignement d'Ile-de-France, un nettoyage social pour préparer la ville à l'arrivée des touristes», assure pourtant Jhila Prentis, bénévole pour United migrants. L'association «demande que le diagnostic social des personnes soit effectué avant leur déplacement afin que cela corresponde à leur situation, et qu'elles soient d'accord pour partir», poursuit la jeune femme, «elles ont une vie ici».
Abdallah Kader, papiers en règle, a également vécu l'amère expérience d'être envoyé près de Bordeaux (sud-ouest) lors de l'évacuation d'un squat. Ce Tchadien de 51 ans est resté un mois dans ce centre, mais faute de travail, il a décidé de revenir en région parisienne. «Ici, je connais des gens, on s'entraide, je trouve du travail», explique l'homme, qui a le statut de réfugié et a été un temps employé à la sécurisation des chantiers des JO. De retour de Bordeaux, il partage un ancien bureau, minuscule et sans confort, avec un autre exilé.
«S'ils nous évacuent encore d'ici, je ne sais pas où je vais aller», se désole Abdallah. «Je veux bien partir ailleurs, mais à condition de trouver un logement et du travail», confie-t-il dans les couloirs du bâtiment débordant de personnes tout aussi perdues que lui.
(AFP)