Des «Bronzés» à «Marche à l'ombre»
Michel Blanc est mort, les perdants ne seront plus vengés

L'acteur français décédé d'un accident cardiaque à 72 ans avait toujours incarné à l'écran ceux qui n'arrivent pas à leurs fins. Ceux qui doivent tricher avec la vie. Ceux qui perdent à chaque fois, parce qu'ils n'ont pas eu la chance de naître gagnants.
Publié: 04.10.2024 à 11:43 heures
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Dernière mise à jour: 04.10.2024 à 12:07 heures
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Les «Bronzés font du ski» est l'un des films-culte de Michel Blanc, réalisé par Patrice Leconte en 1979.
Photo: Keystone
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Richard WerlyJournaliste Blick

«C’est l’histoire d’un mec…» Cette remarque célèbre de Coluche, l’acteur et comique français décédé dans un accident de moto le 19 juin 1986, est aussi le commentaire parfait pour saluer la disparition soudaine de Michel Blanc, mort dans la nuit du 3 au 4 octobre d’un accident cardiaque à 72 ans. Un mec parmi tant d’autres. Un mec qui, à l’écran ou derrière la caméra, savait filmer, mettre en scène et faire parler les hommes qui n’ont pas la chance d’être séduisants naturellement, ces «perdants» qui n’en finiront jamais de chercher leur revanche. Quitte à ne jamais la trouver.

Ce mec-là était d’abord un acteur. Car Michel Blanc venait de la scène. Sa famille était celle du théâtre du Splendid, cette bande qui, dans les années 70-80, installa au premier plan des comédiens français aujourd’hui incontournables comme Christian Clavier, Gérard Jugnot, Thierry Lhermitte, Josiane Balasko ou Marie-Anne Chazel. «Putain, Michel… Qu’est-ce que tu nous as fait… », a réagi dans un message posté sur Instagram son alter ego des «Bronzés» Gérard Jugnot, alias Bernard Morin dans le film-culte.

Perdant et rebelle

Michel Blanc incarnait le perdant rebelle. Celui qui ne supporte pas son destin de «loser» imposé par son physique ingrat et qui tente, toute sa vie, de le compenser par un empressement effréné à séduire à tout prix. Jugnot, époux à l'écran de Josiane Balasko, incarnait le mari muselé. Cette époque-là, celle du Splendid et des «Bronzés», était celle du machisme dominant. Les mecs étaient à la manœuvre, sous les paillotes du Club Méditerranée. Les nanas étaient soit un décor, soit les vraies maîtresses de ce jeu amoureux qu’elles se gardaient bien de vouloir officiellement contrôler.

Michel Blanc était l’incarnation du perdant qui n’acceptera jamais de perdre. Il y avait en lui une sorte d’Astérix triste, irrité par ses défaites, mais incapable, à la fin, de conclure sa vengeance. Il fut aussi à l’écran un second, et c’est d’ailleurs pour son second rôle, dans le film «L’exercice de l’État», qu’il reçut son seul César en 2012. Il faut revoir ce film pour comprendre la mécanique à l’œuvre chez cet acteur qui fut aussi scénariste, dialoguiste et réalisateur. Michel Blanc y incarne Gilles, le directeur de cabinet d’un ministre prêt à tout pour se maintenir au pouvoir. A la fin, ce haut fonctionnaire persuadé d’être à lui seul la toute-puissance de l’État se retrouve marginalisé, prié de quitter le lieu de pouvoir où il a officié. Le revoici seul, face à lui-même: telle était l’histoire de Michel Blanc dans tous ses rôles, de l’éternel Jean-Claude Dusse des «Bronzés» à «Monsieur Hire» ou «Tenue de Soirée».

Femmes et séduction

Un Français ordinaire, obsédé par les femmes et la séduction, ramené sans cesse à sa condition populaire et à son physique: la majorité de la filmographie de l’acteur repose sur ce scénario dont il fit plusieurs films à succès. Logique. L’histoire de Michel Blanc acteur était celle de Michel Blanc tout court. Un comédien issu d’une famille modeste de la banlieue parisienne, dont le déclic fut de côtoyer, au lycée Pasteur de Neuilly, de joyeux drille nommés Thierry Lhermitte (le beau gosse éternel), Christian Clavier (le magouilleur qui fait rire) et Gérard Jugnot (l’innocent aux mains pleines qui ne l’est pas du tout). Un homme qui se savait physiquement faible, diagnostiqué très tôt avec un souffle au cœur. C’est sans doute cette faiblesse qui, dans la nuit, l’a emporté à la surprise de son entourage.

On peut lister les acteurs français et francophones qui, dans ce registre comique-tragique, ont fait la différence ces trente dernières années. Louis de Funès (remplacé en quelque sorte par Clavier) était l’éternel irascible dictatorial, perfide et tourné en dérision par ceux qui l’entourent. L’acteur belge benoît Poelvoorde est le grand dadais égaré que l’on a tort de sous-estimer. Jean Dujardin est celui qui fait rire parce qu’on l’admire pour son physique et sa repartie, comme autrefois Thierry Lhermitte. Gérard Jugnot a la tristesse souriante ou méchante, toujours soupçonné de ne pas être très malin.

La peur et le soupçon

Michel Blanc, lui, faisait un peu peur parce qu’on le soupçonnait toujours, à l’écran, d’être bien plus malin que sa caricature. Il fut d’ailleurs le premier à quitter la troupe du Splendid pour tenter seul sa chance. Derrière le perdant se cachait un gagnant qui aimait diriger sa propre vie et d’autres acteurs. Bref, devenir chef d’équipe.

On ne peut pas rendre hommage à Michel Blanc sans redire toutefois combien l’époque qui le vit percer au théâtre et dans le septième art était profondément misogyne. Dans les «Bronzés», les femmes sont des «gonzesses» que l’on allonge presque comme du bétail. Thierry Lhermitte tient son compteur sur un pèse-personne. Idem dans «Les Bronzés font du ski» et dans d’autres films de l’acteur décédé. Josiane Balasko était la femme forte du groupe. Marie-Anne Chazel la sotte qui, dans les faits, ne l’est évidemment pas. Cette France-là avait ce visage: celui d’une masculinité à la fois triomphante et blessée, et d’une féminité qui doit gagner ses combats par une intelligence de tous les instants.

«Sur un malentendu…»

«On sait jamais, sur un malentendu, ça peut marcher… » lâchait Michel Blanc, alias Jean-Claude Dusse, gringalet chauve et moustachu, dragueur raté et lourdingue toujours persuadé de pouvoir «conclure». La force de ce malentendu est qu’il était, durant ces années-là, celui de toute une partie des Français habitués, au masculin comme au féminin, à vivre avec, à le surmonter. Et surtout à être prêts à en rire après en avoir tant pleuré.

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