Le Parlement européen est un «blob qui engloutit tout», il faut donc veiller à ce que les élus ne se fassent pas «manger»: pour son premier interrogatoire devant le tribunal correctionnel, Marine Le Pen a multiplié lundi les métaphores, quitte à esquiver les questions précises pour se défendre sur le terrain politique.
«Je suis poursuivie devant vous, avec tout ce que ça peut entraîner: psychologiquement, affectivement, politiquement». Au septième jour d'audience et à l'entame d'une quatrième heure d'interrogatoire, Marine Le Pen cesse un instant de pointer du doigt et de s'insurger à chaque mise en cause, pour jouer la carte intime.
Mais c'est sans relâche que s'est défendue l'ex-patronne du Front national, devenu Rassemblement national, soupçonnée de détournement de fonds publics aux côtés de 24 autres prévenus - y compris le parti en tant que personne morale - pour avoir mis en place un système d'assistants d'eurodéputés payés par le Parlement européen, au seul bénéfice de son mouvement politique.
En cause, rappelle le tribunal, l'emploi d'assistante au Parlement européen de l'eurodéputée Marine Le Pen, occupé par Catherine Griset, qui était également sa cheffe de cabinet au parti. Elle a donc été rémunérée par le Parlement européen entre 2010 et 2016. «C'est sur notre enveloppe», corrige Marine Le Pen. «Votre enveloppe, ça n'est pas un dû, c'est l'argent du Parlement», la coupe la présidente.
Marine Le Pen: «Ça appartient aux électeurs». La présidente, impassible: «C'est mis à disposition du député à condition qu’il soit en mesure de justifier si on lui demande... Ca n'est pas un dû, on ne peut pas faire absolument n'importe quoi. Enfin, c'est peut-être la conception que vous en avez...»
«La petite bête»
Plus tôt, le tribunal l'a questionnée sur les critères d'embauche de ses assistants européens. «C'était il y a 20 ans», alors «les détails», Marine Le Pen, tailleur noir et dossiers posés à côté du pupitre, va avoir du mal à les donner.
A la barre, la responsable politique élude pendant plus de six heures les questions directes, mais s'épanche longuement sur le «contexte». Elle raconte ces «débuts» au Parlement européen, où les eurodéputés FN «étaient sept» en 2004, «puis trois» cinq ans plus tard - ils sont aujourd'hui trente. Il y avait donc, explique-t-elle, «une sorte de mutualisation» des assistants parlementaires qui mettent en commun notes, revues de presse ou activités de secrétariat. «Je n'ai absolument pas le sentiment d'avoir commis la moindre irrégularité», répète-t-elle comme depuis le début du procès.
La semaine dernière, lui rappelle le tribunal, l'ex-eurodéputé FN Fernand Le Rachinel a «dit qu'il y avait des gens qui ne travaillaient pas du tout», et «qu'il devait quémander pour avoir des assistants parlementaires». «Vous cherchez la petite bête», s'agace-t-elle auprès des représentants du parquet, quand elle entend ramener inlassablement le dossier à «la politique».
«Vase clos»
«La vraie question, c'est: le député travaille-t-il pour lui même?», martèle-t-elle. Et de répondre: «Le député travaille au bénéfice de ses idées. Et qui porte leurs idées? Leur parti».
Quid de leurs assistants, dont les salaires sont eux pris en charge par le Parlement européen ? «Lorsque les assistants parlementaires n'étaient pas strictement attachés à des tâches parlementaires, ils pouvaient travailler pour le parti», avait lâché Marine Le Pen au juge d'instruction, aux prémices de l'enquête, rappelle l'avocat du Parlement européen Patrick Maisonneuve.
A la barre, l'embarras de la triple candidate malheureuse à la présidentielle est palpable: «Ces déclarations sont moins importantes que le fond», tente-t-elle de balayer, reprenant son argumentaire, un ton plus haut, le détachement des syllabes traduisant à nouveau un agacement certain. Il faudra attendre le début de soirée pour que le tribunal en vienne au cœur du sujet, le contrat qui l'a liée pendant cinq ans à Catherine Griset.
«Comme un blob»
Dans la botte de l'accusation, le peu d'entrain de la collaboratrice à se rendre dans les locaux de l'institution bruxello-strasbourgeoise où elle était supposée être basée: 740 minutes, soit 12 heures, en un peu moins d'un an de travail. S'ensuit un long débat sur l'horodatage, les tourniquets, les portes automatiques et la sympathie des agents de sécurité - «je ne badgeais pas, mes assistants non plus», concède Mme Le Pen.
L'élue élude les questions du tribunal pour développer une étonnante métaphore: «Le Parlement européen fonctionne d'une telle manière qu'il engloutit les députés comme un blob», un organisme vorace absorbant tout sur son passage. «Au Parlement européen, on peut manger, dormir, aller chez le coiffeur, il y a des bars... tout est fait pour que le député vive en vase clos», poursuit-elle.
Alors, «le rôle» des responsables politiques comme elle, c'est de dire «coucou, on fait de la politique», pour que les élus «ne soient pas perdus pour la cause». «Ils le doivent aux militants qui sont allés coller des affiches la nuit, sous la pluie, parfois sous la neige», s'emporte-t-elle.
L'audience doit reprendre mardi avec la suite de son interrogatoire.