Ils sont prévenus. Et la plupart, d’ailleurs, préfèrent rester chez eux et ne plus se montrer en public. Le 77e Festival de Cannes ne célébrera pas un cinéma dominé par des messieurs tout-puissants dont la porte de la chambre d’hôtel pouvait signifier jadis un tremplin pour la célébrité, en même temps qu’une affreuse humiliation et qu’une indélébile blessure.
L’actrice française Camille Cottin, maîtresse de cérémonie dans le Palais des Festivals qui restera ouvert jusqu’au 25 mai, a prévenu la gent masculine. «Les rendez-vous professionnels nocturnes dans les chambres d’hôtels des messieurs tout-puissants ne font plus partie des us et coutumes du vortex cannois suite à l’adoption de la loi #MeToo.» La phrase sonne comme un verdict. Ces deux semaines de longs métrages se dérouleront sous très haute surveillance.
Ils sont prévenus. Et leurs noms étaient sur toutes les lèvres, ou dans toutes les pensées, lors de cette première montée des marches, sur le fameux tapis rouge, longtemps symbole de la beauté féminine instrumentalisée par la domination masculine. Gérard Depardieu, prix d’interprétation masculine pour «Cyrano de Bergerac» en 1990, attend son premier procès en octobre. André Téchiné, prix de la mise en scène 1985 à Cannes pour «Rendez-vous» est accusé de harcèlement sexuel par un comédien. Jacques Doillon, prix du jeune cinéma pour «La drôlesse» en 1979 est accusé de viol par plusieurs actrices. Benoît Jacquot, qui présenta la plupart de ses films sur la Croisette, est l’accusé numéro un de celle qui fut, adolescente, son actrice et sa compagne, Judith Godrèche.
Ce n’est toutefois pas ce mardi soir, au milieu des paillettes, des robes longues et des décolletés plongeants que les gorges vont se nouer, et que les larmes vont sans doute couler. Le moment tant attendu interviendra mercredi 15 mai, en ouverture de la compétition «Un certain regard». Le court métrage réalisé par Judith Godrèche, «Moi aussi» sera alors présenté. Un choc, affirment ceux qui l’ont déjà vu.
Le scénario dit tout: «À l’aube d’un jour nouveau, une jeune fille découvre une foule qui la regarde droit dans les yeux. Chaque visage évoque un passé. La jeune fille se fait le porte-voix de ces histoires innombrables. Chacune est différente, mais toutes se fraient ensemble un chemin, de la douleur sans mots au début d’une libération par la parole.»
Alors quels noms maintenant? L’un a beaucoup circulé ces jours-ci: celui du producteur Alain Sarde. Il est aujourd’hui accusé de viols, d'agressions et de harcèlement sexuel par neuf femmes. Lui affirme n’avoir «jamais usé de la moindre violence ou contrainte dans ses relations avec les femmes». Il avait pourtant déjà été mis en examen pour viol en 1997, avant de bénéficier d’un non-lieu deux ans plus tard.
Grâce féminine
Le nom d’une femme restera néanmoins gravé dans le marbre de cette 77e cérémonie d’ouverture: celui de Meryl Streep, à qui la Palme d’or d’honneur a été remise par Juliette Binoche. Meryl Streep, l’actrice amoureuse de «Sur la route de Madison», sorti en 1995. Ou la mère polyamoureuse de «Mama Mia», la comédie musicale sortie en 2008. «Si les contributions des femmes dans l’histoire sont encore trop invisibles, les tiennes ne le sont pas. En nous aidant à rire, à pleurer, à imaginer, à être inspirée, tu t’es forgé une place indélébile dans l’histoire du cinéma. Tu es un trésor international. Tu as changé notre façon de voir les femmes», a déclaré l’actrice française. La tornade #MeToo peut souffler sur la Croisette. Le sourire et les larmes de Meryl Streep incarnaient, ce mercredi, ce qui a hissé les plus grands films au sommet: le courage et l’absolue grâce féminine.