Considérée comme l'une des plus grandes affaires de pédocriminalité jamais jugées en France, le procès de Joël Le Scouarnec s'ouvre lundi à Vannes (Morbihan) pour examiner jusqu'en juin la longue série de violences sexuelles présumées commises par le chirurgien sur 299 patients, la plupart mineurs au moment des faits. Âgé de 74 ans, Joël Le Scouarnec a «reconnu son implication» dans la majorité des viols et agressions sexuelles dont il est accusé, affirme le procureur de Lorient, Stéphane Kellenberger, qui mènera l'accusation à Vannes.
Déjà condamné en 2020 à 15 ans de réclusion pour les viols et agressions sexuelles de quatre enfants, dont deux nièces, le médecin est désormais jugé pour des actes perpétrés entre 1989 et 2014 dans des hôpitaux de l'ouest de la France. Les enquêteurs ont retrouvé la trace de ses victimes --des anciens patients dont l'âge moyen était de 11 ans-- en lisant ses journaux intimes, découverts lors d'une perquisition à son domicile en 2017, quand sa petite voisine de 6 ans l'a dénoncé auprès de ses parents pour viol. Ses écrits, très précis, indiquaient le nom, l'âge et l'adresse de ses victimes, décrivant sans détour les actes commis, souvent sous couvert de geste médical.
Nombre de victimes ont été confrontées à une amnésie traumatique, effaçant partiellement ou entièrement le souvenir du médecin. «L'amnésie ne dilue pas la gravité de l'acte», affirme Guillaume (prénom d'emprunt), l'une des victimes de M. Le Scouarnec. «Les conséquences existent, je vis avec tous les jours», rappelle celui qui a connu une dépression et des idées suicidaires après avoir lu le récit du pédocriminel sur son agression sexuelle à 12 ans.
Joël Le Scouarnec, qui se proclame «pédophile» persécuté par la société, devra s'expliquer devant 299 victimes, dont 256 avaient moins de 15 ans au moment des faits. Au total, il sera jugé pour 111 viols et 189 agressions sexuelles, aggravés par le fait qu'il abusait de sa fonction de médecin. Il encourt une peine maximale de 20 ans de réclusion.
Des hauts responsables savaient et n'ont rien fait
Les deux premières semaines du procès seront consacrées à l'enquête de personnalité de l'accusé, au déroulé de l'enquête mais aussi aux témoignages de ses proches. Son ex-épouse – qui affirme ne jamais avoir soupçonné la pédocriminalité de son mari, malgré une première condamnation pour détention d'images pédopornographiques en 2005 – est ainsi attendue à la barre dès mardi. Présidée par la juge Aude Buresi, la cour criminelle du Morbihan suivra l'ordre chronologique des violences sexuelles commises par M. Le Scouarnec, selon le calendrier transmis à la presse.
Seront d'abord auditionnées les parties civiles de la clinique de Loches, en Indre-et-Loire (5-7 mars), puis celles de la clinique du Sacré-Coeur à Vannes (10 mars-17 avril) et de Quimperlé, dans le Finistère (22-30 avril). Les patients d'autres hôpitaux où a exercé le praticien – Ancenis, Lorient, Jonzac, et autres cliniques où il a effectué de courts remplacements – seront entendus du 5 au 16 mai. Une quarantaine de parties civiles ont déjà exercé leur droit au huis clos.
Le 19 mai, la cour auditionnera plusieurs anciens hauts responsables des hôpitaux et services de santé. Selon des documents confidentiels consultés par l'AFP, certains avaient été informés dès 2006 de la première condamnation du chirurgien, sans que sa carrière n'en soit impactée. Le médecin avait exercé onze ans encore, poursuivant ses violences sexuelles présumées sur les enfants qu'il opérait. Après une journée consacrée à l'expertise psychiatrique de l'accusé (le 20 mai), viendront les plaidoiries des 63 avocats des parties civiles (22-28 mai), les réquisitions le 2 juin, puis la défense, le 3 juin. Joël Le Scouarnec prononcera ses derniers mots devant la cour le jour-même – ou le lendemain – avant un délibéré du 4 au 6 juin et un verdict dans la foulée.
«Ce qui est dur, c'est de revisiter le trauma»
Pour Guillaume, «la peine et le procès doivent être exemplaires, à la mesure des actes de Le Scouarnec, pour que ça dissuade d'autres pédocriminels de passer à l'acte.» Amélie Lévêque, qui dit avoir été violée à 9 ans par le chirurgien lorsqu'elle était semi-consciente en salle de réveil après une opération, «sait que (Joël Le Scouarnec) va être condamné».
Pour se reconstruire et «refermer le chapitre Le Scouarnec», elle espère être enfin «reconnue comme victime par la justice.» Tout au long du procès, l'association France Victimes 56, avec juristes, psychologues, bénévoles mais aussi des «chiens d'assistance judiciaire», sera présente pour accompagner les victimes.
A quelques jours du procès, «le stress commence à monter», confie Guillaume. «Ce qui est dur, c'est de revisiter le trauma.»