Des tarifs douaniers punitifs?
L'industrie pharmaceutique suisse tremble devant les menaces de Donald Trump

Des représentants de Roche et Novartis, entre autres, avaient soutenu la campagne de Kamala Harris. L'industrie pharmaceutique cherche désormais le dialogue avec la nouvelle administration Trump. Mais la hausse des droits de douane pourrait jouer en sa défaveur.
Publié: 12:54 heures
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Dernière mise à jour: 12:57 heures
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Le Capitole à Washington : c'est ici que s'exerce un lobbying intense pour influencer la législation aux Etats-Unis.
Photo: Getty Images
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Thomas Schlittler

568'958 dollars américains ont été donnés par l'entreprise Roche à la candidate démocrate Kamala Harris durant sa campagne électorale. De son côté, Donald Trump n'a reçu que 31'558 dollars de la part du géant pharmaceutique, comme le montre la base de données de l'organisation non gouvernementale Open Secrets. Chez Novartis, les sympathies étaient réparties de manière tout aussi unilatérale.

Mais le républicain a tout de même remporté la course à la Maison Blanche, et depuis, une grande incertitude règne au sein de l'industrie: Trump va-t-il réellement imposer des droits de douane punitifs et s'engagera-t-il réellement pour une baisse radicale du prix des médicaments? Et qu'adviendra-t-il du secteur sous la baguette du nouveau ministre de la Santé Robert F. Kennedy, un adversaire aguerri de la vaccination et adepte de diverses théories du complot?

Lorsque le deuxième mandat de Trump débutera la semaine prochaine, l'enjeu sera de taille pour Roche, Novartis & Co. Depuis le début des années 2000, la part des Etats-Unis dans les exportations pharmaceutiques suisses a plus que doublé. Sur des exportations d'une valeur totale de 109 milliards de francs, plus d'un quart était destiné à la plus grande économie du monde en 2022.

Pas de discussion sur les prix

Les entreprises suisses ont notamment profité du fait que le marché américain de la santé est presque entièrement libéralisé. C'est le marché, ou plutôt le fabricant, qui fixe les prix des médicaments. En revanche, dans presque tous les autres pays du monde, y compris la Suisse, les tarifs de remboursement doivent être négociés avec les autorités de santé et d'homologation.

En raison de leurs libertés, les entreprises pharmaceutiques gagnent aux Etats-Unis plus d'argent que nulle part ailleurs. En d'autres termes, les patients financent aux Etats-Unis non seulement leur propre suivi médical, mais aussi indirectement celle de leurs compagnons d'infortune étrangers, les coûts de recherche et de développement ainsi que les salaires et les bénéfices de plusieurs milliards des groupes pharmaceutiques.

Le directeur d'Interpharma René Buholzer espère donc que cela ne changera pas de sitôt, malgré les déclarations de guerre de Trump: «Tant les républicains que les démocrates ont fait de la baisse des prix des médicaments leur cheval de bataille depuis des années. Pourtant, un changement radical de système n'a jusqu'à présent jamais convaincu au Congrès».

Espérer ne suffit pas

En ce qui concerne l'introduction de droits de douane à l'importation, Buholzer mise également sur le fait que les actes de Trump iront moins loin que ses discours: «La Suisse investit chaque année plus de 14 milliards de francs dans la recherche et le développement aux Etats-Unis et exporte des produits pharmaceutiques pour une valeur de 28 milliards, qui seraient menacés par ces mesures protectionnistes. Les deux pays ont donc intérêt à maintenir une bonne collaboration». Espérer ne suffit toutefois pas à la Big Pharma. Pour garantir le statu quo, un lobbying intense est mené en coulisses.

Selon les enquêtes d'Open Secrets, les géants pharmaceutiques suisses font partie des groupes les plus actifs à Washington. Les dépenses annuelles de Roche pour le lobbying aux Etats-Unis se sont élevées en moyenne à 8,4 millions de dollars au cours des dix dernières années. La firme bâloise fait ainsi partie du top 30 de toutes les entreprises recensées. De son côté, Novartis a dépensé en moyenne 6,5 millions de dollars pour le lobbying américain depuis 2015.

Interrogés par Blick, les deux groupes ne souhaitent pas commenter si ces dépenses vont encore augmenter au vu des défis actuels. Dans un langage diplomatique bien rodé, le service de presse de Roche déclare: «Nos filiales aux Etats-Unis continueront à travailler avec la nouvelle administration pour promouvoir des mesures politiques qui éliminent les obstacles à l'accès des patients, créent un système de santé plus juste et plus abordable et permettent à notre industrie de continuer à innover dans l'intérêt des patients».

La Confédération réactive son réseau de contacts

La Confédération donne un peu plus de visibilité et fait savoir que l'ambassade de Suisse à Washington dispose d'un «vaste réseau de contacts», qui comprend notamment des membres désignés de la nouvelle administration Trump.

En 2019, Donald Trump a reçu Ueli Maurer, alors président de la Confédération suisse. Ces derniers mois, la Confédération a réactivé ses contacts avec l'administration Trump.
Photo: keystone-sda.ch

«Ces derniers mois, notre ambassade a travaillé activement au développement de ce réseau de contacts afin de permettre aux membres du Conseil fédéral et aux autres représentants officiels de la Suisse d'engager un dialogue rapide et constructif avec leurs futurs homologues», explique Fabian Maienfisch, porte-parole du Secrétariat d'Etat à l'économie (Seco).

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Il y aura peut-être quelques mesures peu réjouissantes pour la Suisse, par exemple concernant le prix des médicaments, mais je ne m'attends pas à un grand bouleversement
Rahul Sahgal, CEO de la chambre de commerce américano-suisse
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L'accent est notamment mis sur l'importance de la Suisse en tant que bailleur de fonds. Il y a quelques années, le DFAE a publié une brochure montrant l'«impact» de la Suisse dans chaque Etat américain. Cette liste devrait néanmoins bientôt être actualisée pour l'administration Trump. «La brochure devrait être publiée dans les semaines à venir», confie Fabian Maienfisch.

Roche, une entreprise américaine?

La chambre de commerce américano-suisse souligne également ses bons contacts avec la nouvelle administration de Washington. Le nouveau CEO Rahul Sahgal, qui a dirigé le service financier et fiscal de l'ambassade suisse à Washington de 2017 à 2021, ne pense pas que les relations commerciales subiront de sérieux dommages: «Il y aura peut-être quelques mesures peu réjouissantes pour la Suisse, par exemple concernant le prix des médicaments, mais je ne m'attends pas à un grand bouleversement.»

Rahul Sahgal considère également la présence sur place comme un grand atout pour la Suisse. Cela a eu des conséquences parfois surprenantes par le passé: «Pendant la pandémie, Trump a vanté les tests de Roche comme une réalisation américaine. Cela montre à quel point nous sommes ancrés aux Etats-Unis». Pour l'industrie pharmaceutique suisse, il reste à espérer que le nouveau et ancien président américain n'a pas oublié ses éloges de l'époque.

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