Des clips tirés de ce jeu, auxquels sont souvent ajoutés les bandeaux «En direct» ou «Breaking news» pour leur donner un aspect plus authentique, ont fréquemment été utilisés dans de fausses vidéos censées représenter l'invasion russe de l'Ukraine.
L'aisance avec laquelle elles trompent le public, et parfois même des chaînes de télévision, inquiète les chercheurs. C'est «un rappel de la facilité avec laquelle on peut duper les gens», estime auprès de l'AFP Claire Wardle, co-directrice de l'Information Futures Lab de l'université Brown.
«Avec l'amélioration des visuels de jeux vidéo, les images de synthèse peuvent, au premier coup d'œil, sembler vraies», explique-t-elle. «Il faut que les gens sachent comment vérifier la véracité de ces images, en particulier comment examiner les métadonnées, afin que ces erreurs soient évitées, surtout par les médias.»
«Arma 3», du studio tchèque Bohemia Interactive, permet de générer divers scénarios de batailles au moyen d'avions, de tanks et d'armes variées. De nombreux joueurs partagent ensuite en ligne des vidéos de leurs aventures, qui sont parfois détournées.
Sous des images d'«Arma 3» intitulées «La contre-offensive de l'Ukraine!», un internaute induit en erreur a par exemple commenté: «Nous devons demander à l'Ukraine, après cette guerre, d'entraîner les forces de l'OTAN.»
«La première guerre TikTok»
«Bien qu'il soit flatteur qu'Arma 3 simule les conflits modernes de façon si réaliste, nous sommes mécontents qu'il puisse être confondu avec des images de combat réel et utilisé comme de la propagande de guerre», a réagi dans un communiqué un représentant du studio.
«Nous tentons de combattre ces contenus en les signalant aux plateformes, mais ce n'est pas du tout efficace. Pour chaque vidéo dépubliée, dix autres sont mises en ligne chaque jour.»
Ces dernières années, les images d'«Arma 3» ont également été utilisées pour illustrer faussement les conflits en Syrie, en Afghanistan et en Palestine, des infox régulièrement dénoncées par les médias de vérification numérique.
L'AFP en a débusqué plusieurs, dont une en novembre prétendant montrer des tanks russes frappés par des missiles Javelin et visionnée des dizaines de milliers de fois.
Selon Bohemia Interactive, ces détournements ont connu un regain de popularité avec l'invasion de l'Ukraine, parfois surnommée la «première guerre TikTok» du fait des nombreuses images qui l'illustrent sur les réseaux sociaux.
«Trolls» et «naïfs»
Des médias se sont aussi laissés berner: la chaîne roumaine Romania TV a présenté en novembre une vieille vidéo d'«Arma 3» comme montrant des combats en Ukraine, et un ancien ministre de la Défense ainsi qu'un ex-chef des renseignements ont tous deux commenté les images comme si elles étaient authentiques.
En février déjà, une autre chaîne roumaine, Antena 3, diffusait par erreur une vieille vidéo d'«Arma 3» et invitait le porte-parole du Ministère de la défense à l'analyser. Celui-ci se contentera de propos généraux sur le conflit.
Sur les réseaux sociaux, les raisons de partager ces faux clips varient. «Je soupçonne les personnes postant ces contenus d'être simplement des 'trolls' voulant voir combien de gens ils peuvent piéger», dit à l'AFP Nick Waters, du site d'investigation numérique Bellingcat.
Ceux qui repartagent ensuite ces publications sont selon lui «des gens naïfs» tentant d'obtenir de la visibilité ou des abonnés sur internet.
Plus faciles à vérifier que les «deepfakes»
Étant donné le caractère peu sophistiqué de la désinformation basée sur les extraits d'«Arma 3», il est peu probable qu'elle émane d'acteurs étatiques, estiment les chercheurs.
Pour eux, ces clips sont plus faciles à vérifier que les «deepfakes» (ou «hypertrucages»), qui consistent à utiliser l'intelligence artificielle pour créer des images confondantes de réalisme, de plus en plus employées dans le milieu criminel.
«Si vous savez à quoi vous attendre, ces vidéos (d'«Arma 3») ne sont en fait pas si difficiles à identifier comme fausses», ajoute Nick Waters. Malheureusement, regrette-il, «beaucoup de personnes n'ont pas les compétences» pour repérer la désinformation.
(AFP)