L’Iran compte une deuxième martyre, mais pas au sens où la République islamique le voudrait. Hadis Najafi, une jeune femme de 20 ans, est décédée jeudi dernier sous les balles de la police, alors qu’elle militait pour un idéal: celui de pouvoir se vêtir comme elle le souhaitait. Cela, une dizaine de jours après la mort tragique de Mahsa Amini, une jeune femme de 22 ans, décédée à l’hôpital après avoir été arrêtée par la police des moeurs. Son crime? Elle n’aurait pas porté son voile «correctement».
C’est lors d’une des manifestations déclenchées par la mort de Mahsa Amini que Hadis Najafi a été victime des forces de l’ordre, révélait dimanche la presse internationale. La blessure, encore sanglante, est rouverte.
Et comme si un seul projectile ne suffisait pas, ce sont six balles dans la tête, le cou et la poitrine qui ont mis fin aux jours de la jeune femme. En vidéo, on la voit s’attacher les cheveux avant de rejoindre les manifestants et manifestantes. Les faits se sont déroulés dans la petite ville de Karaj, à l’ouest de Téhéran. Hadis Najafi, qui montrait son envie de pouvoir s’habiller comme elle le souhaitait sur les réseaux sociaux bien avant les manifestations, a été abattue quelques heures plus tard.
Une vidéo datant du jour de sa mort a rapidement fait le tour des réseaux sociaux comme un symbole des femmes qui retirent leur voile ou se coupent les cheveux afin de pointer du doigt le code vestimentaire de la République islamique.
Militants arrêtés et tués
Si la mort de Hadis Najafi ravive l’émoi national et international, il faut constater qu’elle n’est pas la seule victime des forces de l’ordre iraniennes.
Plus de 1200 manifestants ont été arrêtés en Iran, ont indiqué les autorités lundi, au 10e jour des protestations nocturnes contre la mort de la jeune Mahsa Amini après son interpellation par la police des moeurs.
Au moins 41 personnes ont été tuées, selon un bilan officiel incluant manifestants et forces de l’ordre réprimant ce mouvement de protestation.
La communauté internationale s'indigne
Les tensions s’accroissent entre Téhéran et l’Occident avec la convocation lundi par l’Allemagne de l’ambassadeur d’Iran. La veille, l’Union européenne a dénoncé «l’usage disproportionné de la force» par les autorités iraniennes, tandis que Téhéran a convoqué les ambassadeurs du Royaume-Uni et de Norvège.
Des manifestations de colère ont à nouveau éclaté dimanche soir, pour la dixième nuit consécutive dans la République islamique, où les rassemblements débutent après la journée de travail. A Téhéran, la foule a appelé à la chute du guide suprême, l’ayatollah Ali Khamenei, 83 ans, en criant «mort au dictateur», selon des images publiées par l’ONG Iran Human Rights basée à Oslo.
«Femme, Vie, Liberté!», ont scandé des manifestants; des femmes ont enlevé et jeté leurs foulards dans un feu ou se sont symboliquement coupé les cheveux, encouragées par la foule. Leur cri de ralliement a été repris lors de manifestations de solidarité dans le monde entier, notamment à Londres et Paris ce week-end.
A Téhéran, la police anti-émeute en gilet pare-balles noir a frappé des manifestants à coups de matraque lors de combats de rue, et des étudiants ont déchiré de grandes photos du guide suprême et de son prédécesseur, l’ayatollah Rouhollah Khomenei, selon de récentes images vidéo publiées par l’AFP.
Dix-huit journalistes arrêtés
Au cours des manifestations à travers le pays, les plus importantes en Iran depuis près de trois ans, les forces de sécurité ont notamment tiré des plombs et à balles réelles sur des participants qui ont lancé des pierres, incendié des voitures de police et mis le feu à des bâtiments publics, selon des groupes de défense des droits humains.
L’ONG IHR a fait état d’au moins 57 manifestants tués. Le nombre total d’arrestations a dépassé 1200 dans le seul nord du pays où les autorités ont communiqué sur les interpellations, annonçant avoir appréhendé environ 450 personnes dans la province de Mazandaran, et samedi plus de 700 dans la province voisine de Gilan, selon des médias officiels.
De son côté, le Comité pour la protection des journalistes (CPJ) a fait état lundi de l’arrestation de 18 journalistes depuis le début des manifestations.
«Complots étrangers», accuse Téhéran
L’Iran a imputé le mouvement de contestation dans le pays à des «complots étrangers», pointant du doigt son ennemi juré, les Etats-Unis, ainsi que ses alliés. Le porte-parole du ministre iranien des Affaires étrangères, Hossein Amir-Abdollahian, a critiqué «l’approche interventionniste des Etats-Unis» dans les affaires de l’Iran, leur reprochant de soutenir «les émeutiers».
Des organisations pro-gouvernementales ont organisé de grands rassemblements pour défendre le port obligatoire du foulard islamique, dont l’un s’est déroulé dimanche sur la place de la Révolution à Téhéran.
Le parti réformateur de l'Union du peuple de l’Iran islamique a pour sa part appelé l’Etat à annuler l’obligation du port du voile islamique et à libérer les personnes arrêtées.
Selon l’IHR, les syndicats d’enseignants iraniens ont appelé le personnel et les étudiants à boycotter les cours lundi et mercredi en soutien aux manifestations.
(Avec l’ATS)