En Méditerranée, l’OTAN joue des muscles. Le porte-avions USS Harry S. Truman, qui peut accueillir jusqu’à 85 avions, patrouille flanqué de sa flottille d’accompagnement. L’Alliance nord-atlantique tweetait fièrement lundi: «Pour la première fois depuis la guerre froide, un groupe complet de porte-avions américains est sous le commandement de l’OTAN».
Officiellement, le déploiement naval n’est qu’un exercice militaire et n’a prétendument rien à voir avec le conflit ukrainien. L’opération «Neptune Strike 22» est «planifiée depuis longtemps», a fait savoir le Pentagone. Ce alors que la manœuvre ne figurait pas sur la liste des exercices de l’OTAN prévus pour 2022, publiée en décembre.
Ce n’est qu’un des nombreux signes de ce qui se déroule actuellement entre les Etats-Unis et la Russie: une sorte de guerre froide. La confrontation tendue autour de l’Ukraine rappelle les décennies au cours desquelles les deux puissances victorieuses de la Seconde Guerre mondiale se sont livrées à une concurrence systémique mondiale, par le biais de la course aux armements, de menaces et de l’espionnage. Ce ne sont pas des paroles en l’air: des deux côtés, des diplomates de haut niveau évoquent le conflit majeur de la seconde moitié du 20e siècle.
Entretien avec l'ambassadeur ukrainien Artem Rybtchenko sur Poutine
«Décisif pour le monde entier»
Dmitri Polyansky, ambassadeur adjoint de la Russie auprès des Nations unies, qualifie le conflit de «guerre froide 2.0». «Ce que nous avons maintenant, c’est une sorte de réédition», a-t-il ajouté le mois dernier.
«Les Etats-Unis se trouvent dans une nouvelle guerre froide qui décide de l’avenir de l’Europe, voire du monde entier», écrit Jim Gilmore, ambassadeur américain auprès de l’OSCE jusqu’à la mi-janvier, dans une analyse pour «Foreign Policy».
Il se pourrait bien que la guerre froide se transforme bientôt en guerre chaude. Le vice-ministre russe des Affaires étrangères a comparé la situation actuelle à la crise de Cuba de 1962, lorsque les Etats-Unis et l’Union soviétique se sont retrouvés au bord d’un conflit nucléaire.
Nous avons compilé quelques similitudes du conflit ukrainien actuel avec la guerre froide:
1. Les Etats-Unis et la Russie rassemblent leurs alliés
Autrefois, l’OTAN affrontait une autre alliance: le pacte de Varsovie, un traité militaire sous la houlette de Moscou qui comprenait les autres pays communistes du bloc de l’Est. L’équivalent actuel russe de l’OTAN, l’OTSC (Organisation du traité de sécurité collective), a longtemps été considéré comme un tigre édenté. Cela a changé: lors des manifestations antigouvernementales au Kazakhstan au début de l’année, l’alliance militaire, qui comprend, outre la Russie et le Kazakhstan, l’Arménie, la Biélorussie, le Kirghizistan et le Tadjikistan, a montré pour la première fois sa capacité opérationnelle.
En outre, Poutine souhaite rencontrer son homologue chinois au début des Jeux olympiques d’hiver en Chine. Lors d’une conversation téléphonique entre les deux présidents en décembre, Xi Jinping a soutenu la demande de la Russie selon laquelle l’Ukraine ne devrait jamais rejoindre l’OTAN.
Après des difficultés de coordination initiales, l’Occident s’efforce de trouver un terrain d’entente. Le secrétaire d’Etat américain Antony Blinken s’est rendu la semaine dernière à Kiev et à Berlin pour resserrer les rangs de l’Alliance nord-atlantique. Lundi, il a participé à une vidéoconférence des ministres des Affaires étrangères de l’UE.
2. Les deux pays s’arment à nouveau fortement
Même s’il nie une invasion planifiée, Poutine a déjà rassemblé depuis des semaines plus de 100’000 soldats à la frontière ukrainienne. Outre des troupes à sa propre frontière avec l’Ukraine, Poutine a récemment transféré des forces armées en Biélorussie, qui a une longue frontière commune avec l’Ukraine.
Les Etats-Unis ont de longue date des dizaines de milliers de soldats en Europe. En réaction à l’escalade du conflit ukrainien, le gouvernement Biden a mis en alerte environ 8500 soldats aux Etats-Unis. Il veut en outre envoyer plusieurs milliers de soldats, de navires de guerre et d’avions en soutien aux alliés de l’OTAN dans les pays baltes et en Europe de l’Est.
D’autres pays membres de l’OTAN déplacent également du matériel de guerre et livrent des armes. Lundi, l’UE a en outre laissé entrevoir à l’Ukraine un soutien en matière de formation militaire.
Il existe toutefois une différence importante par rapport à la guerre froide: l'«option nucléaire» n’est pas à l’ordre du jour. La course à l’armement atomique a pris fin avec la guerre froide. En 1991, les États-Unis et la Russie ont signé un accord de désarmement.
3. Les deux pays font pression politiquement
La Russie a posé des exigences de sécurité étendues et irréalisables du point de vue de l’OTAN. Deux projets d’accords ont été publiés en décembre. La Russie exige la garantie que l’Ukraine ne rejoindra pas l’OTAN et que l’alliance mette fin à toute activité en Europe de l’Est.
Le secrétaire d’Etat américain Antony Blinken a de son côté claironné que chaque pas d’un soldat russe au-delà de la frontière ukrainienne était un pas de trop. D’autres tactiques de guerre, comme les cyberattaques, ne seraient pas non plus tolérées.
Après la dernière réunion de vendredi à Genève, les Etats-Unis ont promis une réponse écrite aux demandes russes. D’autres rencontres – éventuellement entre les présidents respectifs – devraient suivre.
4. Les Etats-Unis menacent de sanctions
L’alliance occidentale a menacé le Kremlin de sanctions «massives» et «sans précédent» si la Russie attaquait l’Ukraine. Les banques russes pourraient par exemple se voir exclues du système de paiement SWIFT, ce qui affecterait fortement l’économie russe.
Cette mesure rendrait non les paiements internationaux très difficiles aux banques russes et affaiblirait considérablement le rouble. Les géants de l’énergie russes seraient particulièrement touchés.
Alexander Libman, professeur de russe à l’université libre de Berlin, qualifie cette mesure de «bombe atomique» au journal télévisé de la SRF, car elle aurait des répercussions internationales sur le commerce.
Pour le pétrole et le gaz, cela aurait de graves conséquences: «si demain les livraisons russes sont tout simplement annulées, cela peut entraîner une hausse massive des prix sur les marchés du gaz. Et donc de nouvelles complications pour l’économie européenne».
La Chine pourrait en outre saper les efforts occidentaux. La Russie et la Chine, entre autres, ont déjà développé leurs propres alternatives à SWIFT, même si elles ne sont pas encore aussi établies que le système européen.
Le maire de Kiev, l'ancien champion du monde de boxe Vitali Klitschko, prépare la capitale ukrainienne à une éventuelle invasion des troupes russes. Il a déclaré à CNN: «Si les choses s'aggravent, nous devons être prêts». Il a déjà fait appel à des réservistes, mais espère que la Russie ne fera que «montrer ses muscles» et ne prendra pas les choses au sérieux.
Selon les informations américaines, la Russie a rassemblé plus de 100'000 soldats à la frontière ukrainienne, qui effectuent depuis mardi des exercices avec des munitions réelles et des chars. Moscou nie avoir prévu une invasion.
Le conflit dans l'est de l'Ukraine a éclaté après que la Russie a annexé la péninsule ukrainienne de Crimée en 2014. Moscou soutient les séparatistes qui ont proclamé les soi-disant républiques populaires de Louhansk et de Donetsk dans l'est de l'Ukraine. Le conflit a fait jusqu'à présent plus de 13'000 morts.
Le maire de Kiev, l'ancien champion du monde de boxe Vitali Klitschko, prépare la capitale ukrainienne à une éventuelle invasion des troupes russes. Il a déclaré à CNN: «Si les choses s'aggravent, nous devons être prêts». Il a déjà fait appel à des réservistes, mais espère que la Russie ne fera que «montrer ses muscles» et ne prendra pas les choses au sérieux.
Selon les informations américaines, la Russie a rassemblé plus de 100'000 soldats à la frontière ukrainienne, qui effectuent depuis mardi des exercices avec des munitions réelles et des chars. Moscou nie avoir prévu une invasion.
Le conflit dans l'est de l'Ukraine a éclaté après que la Russie a annexé la péninsule ukrainienne de Crimée en 2014. Moscou soutient les séparatistes qui ont proclamé les soi-disant républiques populaires de Louhansk et de Donetsk dans l'est de l'Ukraine. Le conflit a fait jusqu'à présent plus de 13'000 morts.
5. Ils se battent par l’intermédiaire d’autres pays
Comme pendant la guerre froide, le conflit entre les Etats-Unis et la Russie est particulièrement visible en dehors de leurs propres territoires. Tous deux s’impliquent fortement dans des conflits régionaux, se retrouvant adversaires à chaque fois.
Ce fut le cas en Syrie, où la Russie soutient depuis 2015 le dirigeant Bachar el-Assad. La guerre civile s’est depuis longtemps transformée en guerre par procuration, à l’instar d’innombrables conflits de guerre froide, du Vietnam à la Corée, de la guerre des Sables au Maghreb à l’Afghanistan.
On peut également considérer que la Biélorussie est un autre terrain d’affrontement américano-russe. Vladimir Poutine a aidé le dirigeant Alexander Loukachenko à réprimer la grande vague de protestation de 2020. Si les Etats-Unis n’interviennent certes pas militairement, ils soutiennent l’opposition démocratique. En juillet dernier, Joe Biden a notamment rencontré à la Maison Blanche celle qui se proclame gagnante des élections, Svetlana Tikhanovskaïa, qui vit en exil.
Et puis bien sûr, il y a l’Ukraine.
6. La Russie influence la politique occidentale
La Russie aurait particulièrement joué un rôle dans les élections américaines de 2016, remportées par Trump, par le biais de cyberattaques et de désinformation. De nombreux rapports des services de renseignement le prouvent. Moscou conteste ces accusations.
En ce qui concerne l’Ukraine, l’infiltration idéologique prend peut-être une nouvelle dimension la Grande-Bretagne a accusé samedi la Russie de vouloir renverser le gouvernement ukrainien élu et de le remplacer par un «régime fantoche» pro-russe.
7. Propagande via les médias et les réseaux sociaux
La guerre froide fut aussi une guerre de propagande, pour gagner les «esprits et les coeurs». C’était l’affrontement de deux modèles: le communisme et le libéralisme. Ici aussi, deux systèmes de pensée s’affrontent par le biais de médias concurrents. Après la rencontre entre les Etats-Unis et la Russie vendredi à Genève, le ministre russe des Affaires étrangères Sergueï Lavrov a accusé l’Occident de «propagande anti-russe».
L’Allemagne a récemment bloqué la chaîne de propagande russe «Russia Today». La querelle n’est pas encore terminée, mais le gouvernement fédéral évalue RT Deutsch et d’autres médias ou filiales comme des «acteurs clés d’un réseau complexe qui diffuse ses récits pour le compte d’instances étatiques russes, notamment dans le but d’influencer le processus de formation de l’opinion politique en Allemagne».
Aux États-Unis, le problème a une autre dimension. L’ex-président Donald Trump et son équipe ont par exemple utilisé «Fox News» pour diffuser des informations russes non confirmées sur des adversaires politiques, comme l’a révélé un rapport de «CNN».
La figure de proue de Fox News, Tucker Carlson, se fait également régulièrement remarquer par la diffusion de propagande russe. Même la télévision d’Etat russe l’acclame pour cela.