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Elisabeth Decrey Warner fut l’âme de l’Appel de Genève.

Courage et Croix Blanche
Albina du Boisrouvray et Elisabeth Decrey, des Suissesses rebelles du 1er Août

Ces mémoires portent, chacun, la marque de leur engagement et de leurs blessures. Albina du Boisrouvray et Elisabeth Decrey ont toutes deux assumé leur rébellion. En portant haut les valeurs humanitaires que la Suisse honore aussi le 1er Août.
Publié: 30.07.2022 à 16:27 heures
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Dernière mise à jour: 01.08.2022 à 11:02 heures
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Richard WerlyJournaliste Blick

Ces deux femmes ont en commun d’avoir assumé leur rébellion, au point d’en faire le titre de leur livre. Pour Albina du Boisrouvray, 81 ans? «Le courage de vivre. Se rebeller, perdre l’essentiel, tout donner» (Ed. Flammarion).

Pour Elisabeth Decrey Warner, 68 ans? «Une femme sur les terres des rebelles» (Ed. Yedrec). Deux témoignages de vie et de combats, sur le terrain humanitaire où d’ordinaire, les hommes font les lois de la paix et de la guerre.

Négocier avec tous



On ne reviendra pas, dans cette chronique, sur les origines sociales et familiales de ces deux combattantes, pour lesquelles Genève fut souvent le point de départ et d’arrivée. Albina est indissociable de l’association FXB international, créé en mémoire de son fils François Xavier Bagnoud, pilote d’hélicoptère mort dans un accident le 14 janvier 1986 lors d’un vol au-dessus du désert sur le Paris Dakar. Elisabeth fut l’âme de l’Appel de Genève fondé en 1998 et qui, depuis son départ, demeure l’une des organisations humanitaires majeures installées sur les bords du Léman.

Toutes deux se sont plongées à cœur ouvert dans les désordres du monde: FXB International pour venir en aide, parmi les premiers, aux enfants africains malades du sida; l’Appel de Genève pour négocier avec tous ceux – milices, groupes armés… – qui sont le carburant des guerres oubliées par l’Occident et les médias. Mais les deux livres ne sont pas que des témoignages de ces combats lointains. Ils sont aussi des leçons de vie, écrites par des survivantes qui ont lutté contre leur entourage, leur famille et les autorités de toutes sortes pour ramener un peu d’humanité là où beaucoup, y compris au sein des Nations unies, préféraient détourner les yeux.

«Je pris très tôt conscience de la place des femmes dans ce monde d’hommes. Déjà, lorsque je rendais visite à mes grands-parents, je trouvais bien plus intéressantes les discussions des fumeurs de cigares que les pépiements d’oiseaux multicolores perchés sur les sofas de l’angle opposé», ironise d’emblée Albina du Boisrouvray, tout droit sortie des tumultes sensuels de la révolution parisienne de mai 1968. «Mon témoignage atteste que l’on peut être femme, mère, épouse, tout en dirigeant une équipe et une organisation innovante, et en négociant perdue dans les montagnes irakiennes ou le maquis soudanais avec des chefs de groupes armés», lui répond Elisabeth Decrey.

Héritières d’Henry Dunant

Ces deux Suissesses ont hérité du caractère d’Henry Dunant, le fondateur de la Croix-Rouge. Ce qui les définit avant tout, comme l’auteur de «l’appel de Solferino» publié en 1862 dans les colonnes du «Journal de Genève», est leur refus têtu de céder à ce qui leur semblait injuste. «N’y aurait-il pas moyen, pendant une époque de paix et de tranquillité, de constituer des sociétés de secours dont le but serait de faire donner des soins aux blessés, en temps de guerre, par des volontaires zélés, dévoués et bien qualifiés pour une pareille œuvre?», interrogeait Henry Dunant, de retour des champs de bataille ensanglantés du nord de l’Italie, transformé en terre gorgée de douleurs et de morts par les troupes françaises et autrichiennes. C’est quelque part à cet appel que ses deux héritières ont, un siècle plus tard, décidé de répondre.

Il faut lire ces deux livres comme des explorations. Celui d’Elisabeth Decrey commence par un chapitre dont le titre dit tout: «Les oubliés», car les combats les plus difficiles à remporter sont ceux qui ne mobilisent personne. Albina du Boisrouvray, elle, a préféré raconter autant sa vie que son œuvre humanitaire. Soit. L’intéressée n’a pas besoin de tisser sa légende car celle-ci l’a toujours accompagnée. Beauté, fortune, famille d’origine latino-américaine présente aux quatre coins du monde. Il y a un grain de folie et d’ambition digne de l’armateur Onassis chez Albina. Il y a un brin de détresse sous jacent digne de La Callas chez Elisabeth.

Leurs deux mémoires comportent, ensemble, près de mille pages qui se lisent comme deux romans. Albina, diva humanitaire très rock’n’roll, y parle de cocaïne et du gotha. Elisabeth, genevoise aussi tenace que sérieuse, préfère insister sur ces centurions de l’ombre qu’elle a croisé pour l’Appel de Genève. La guerre, comme les catastrophes humanitaires, sont de tragiques théâtres dont elles ont passé une partie de leur vie à arpenter les soutes.

Pas de recherche de la gloire

L’exercice biographique est toujours délicat. Toutes deux, sans rechercher la gloire, ont aussi décidé d’écrire pour être reconnues et laisser derrière elles cette trace qui donne naissance aux vocations. Elles n’ont, à l’évidence, pas oublié de se faire des adversaires, voire des ennemis. La rébellion a ses règles que la courtoisie et le protocole ignorent. Qu’importe. A la question rituelle «comment être suisse?» que beaucoup posent le 1er août: Elisabeth Decrey et Albina du Boisrouvray répondent par leur parcours.

Ces Suissesses-là ont plongé dans le chaos du monde et elles en sont revenues persuadées que le pire est de se taire ou de rester inerte. Ceux qui pensent le contraire, faisant rimer neutralité avec confort et ignorance de l’autre, feraient mieux de ne pas tourner les pages de leurs ouvrages. Tous les autres, en revanche, y trouveront matière à fourbir leur propre rébellion.

A lire:

«Une femme sur les terres rebelles» d’Elisabeth Decrey Warner (Ed. Yedrec)
«Le courage de vivre» d’Albina du Boisrouvray (Ed. Flammarion)

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