Conseils de la neuroscientifique Maren Urner
Comment les crises modifient le cerveau, et ce qui permet d'y remédier

En cas de crise, notre cerveau se met en mode survie, ce qui impacte sur le long terme notre capacité à prendre des décisions. En outre, sous l'effet de la peur, notre QI diminue. Une neuroscientifique allemande, Maren Urner, explique ce qui permet d'y remédier.
Publié: 20.04.2022 à 06:12 heures
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La neuroscientifique Maren Urner s'intéresse depuis des années aux impacts des crises sur le cerveau humain.
Photo: UFUK ARSLAN
Karin A. Wenger

La pandémie, le changement climatique, la guerre en Ukraine et celles autour du globe: le monde semble être en crise permanente, et ça n’en finit pas. De nombreuses personnes se sentent à la merci de cet état de fait et pensent ne rien pouvoir faire pour remédier à ce stress. Mais heureusement, il s'agit d'un raisonnement erroné.

Pour comprendre comment nous pouvons nous débarrasser de la sensation constante d’être en crise, il vaut la peine de jeter un coup d’œil dans notre tête: la masse de nouvelles négatives ne marque pas seulement l’esprit, mais modifie aussi notre cerveau.

Comment les crises affectent-elles le cerveau?

«Dans une situation qui nous fait peur, notre cerveau primitif se met automatiquement en mode survie. Les seules réactions qui nous restent sont de nous battre, de fuir ou de nous figer», explique la neuroscientifique Maren Urner. Dans ce mode, les régions du cerveau responsables de la planification à long terme sont bloquées. C’est tout à fait logique, car notre cerveau s’oriente alors vers la survie à court terme.

Cela pose alors problème. «Sous l’emprise de la peur, nous ne sommes pas en mesure de prendre des décisions à long terme, car nous ne tenons compte que de la perspective à court terme», explique Maren Urner. Des études montrent qu’en ressentant de la peur, nous résolvons également moins bien les tâches et notre QI diminue. En bref: la peur nous rend plus bêtes.

Quelle est la fonction du cerveau pendant les crises?

La fonction la plus fondamentale du cerveau est de nous maintenir en vie. C’est pourquoi il essaie constamment de prédire ce qui pourrait se passer ensuite. Cependant, dans une situation comme une pandémie ou une guerre, il est difficile de faire des prévisions et la situation évolue constamment. C’est pourquoi les prédictions tombent souvent à l’eau et l’incertitude accrue peut s’accompagner d’un sentiment de perte de contrôle.

Nos ancêtres étaient déjà conçus pour détecter efficacement les dangers potentiels. C’est pourquoi notre cerveau réagit plus rapidement au danger, au négatif ou au sensationnel qu’aux mots positifs ou neutres, explique la neuroscientifique Maren Urner.

Quelles sont les conséquences à long terme lorsque les crises succèdent aux crises?

Les crises et la peur déclenchent chez l’humain un stress biologique. «Ce n’est pas la même chose que, par exemple, la pression des délais que nous ressentons tous dans la vie quotidienne, explique Maren Urner. Mais dans le cas d’une crise, les exigences que nous imposons à notre cerveau et à notre corps deviennent alors supérieures à nos ressources. Si nous sommes en permanence dans cet état, la récupération est insuffisante et des études montrent que la probabilité de maladies psychiques et d’autres maladies chroniques augmente.»

Quel est le rôle des médias pendant les crises?

De nombreuses personnes ont besoin d’informations pour retrouver un sentiment de contrôle pendant les crises. Souvent, elles consomment alors des nouvelles sans arrêt, ce qui ne fait toutefois qu’empirer la situation: les résultats d’une étude menée après l’attentat du marathon de Boston en 2013 montrent que les personnes qui ont suivi l’incident de manière intensive dans les médias étaient plus stressées que les personnes présentes sur place au moment des faits. La consommation excessive de médias en période de crise surcharge le cerveau: nous sommes par conséquent moins bien informés que si nous avions consommé moins de nouvelles, explique Maren Urner.

Comment pouvons-nous percevoir le monde de manière plus constructive?

La neuroscientifique a beaucoup travaillé sur la manière dont nous pouvons évaluer le monde de manière plus réaliste, et ainsi être mieux informés à la fin de la journée. Ses deux principaux conseils, que chacun peut mettre en pratique, sont les suivants:

Consommer les informations de manière plus consciente

Maren Urner conseille de consommer les médias de manière plus consciente, par exemple de définir des moments où nous avons besoin de notre smartphone – et quand nous n’en avons pas besoin. Le cerveau a une limite à la quantité d’informations qu’il peut absorber et traiter par jour. Il n’est pas possible de dépasser cette quantité, qui varie d’un individu à l’autre. Pour le traitement des informations, il est en outre important de faire des pauses pendant lesquelles nous faisons quelque chose de complètement différent, par exemple bouger, rencontrer des gens ou dormir.

Changer sa façon de penser

«Nous devons changer nos schémas de pensée pour pouvoir maîtriser les crises de notre époque», explique Maren Urner. Pour ce faire, elle développe le concept de la pensée statique et de la pensée dynamique dans son dernier livre, «Raus aus der ewigen Dauerkrise» (seulement en allemand).

Celui qui pense de manière statique veut s’accrocher au statu quo, nous dit la neuroscientifique. Cela correspond au mécanisme cérébral qui exige la sécurité et craint l’inconnu. «Mais les grands défis de notre époque, comme la crise climatique, ne peuvent être résolus que par une pensée dynamique et orientée vers les solutions», dit-elle. Pour y parvenir, il suffit de se demander plus souvent: «Pour quoi?» plutôt que «Contre quoi?»

Dans une crise comme la pandémie, Maren Urner conseille de se demander: qu’est-ce qui est important pour moi? Où est-ce que je veux aller dans ma vie? Et ensuite, par exemple, d’écrire une liste: «Cela crée un nouvel état d’esprit. L’adversaire de l’impuissance est l’efficacité personnelle.»

Un autre point de la pensée dynamique est de redéfinir les groupes. Dans sa quête de sécurité, le cerveau définit toujours des groupes, de sorte que l’on se délimite et que l’on regarde ce qui nous distingue des autres, explique Maren Urner. Cela empêche d’entrer en contact et de résoudre des problèmes ensemble. La neuroscientifique allemande propose plutôt de chercher le plus petit dénominateur commun chez les autres. Car des décennies de recherche montrent que des relations sociales qui fonctionnent sont le facteur le plus important pour une vie saine et heureuse.

(Adaptation par Lliana Doudot)

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