Camps de concentration en Chine
«Les Ouïghours sont torturés, stérilisés et leurs organes vendus»

Après l'incendie qui a fait de nombreuses victimes ouïghours, des manifestations ont lieu dans plusieurs villes chinoises. Andili Memetkerim, qui vit en Argovie, raconte la cruauté avec laquelle Pékin traite cette minorité dans les «établissements d'enseignement».
Publié: 07.12.2022 à 15:34 heures
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Selon Human Right Watch, cette photo de 2017 montre des Ouïghours dans un camp de rééducation.
Photo: Human Right Watch

«Le gouvernement chinois veut nous exterminer, nous les Ouïghours.» Andili Memetkerim semble dépité lorsqu'il prononce cette phrase. Ce naturopathe, qui tient un cabinet en Argovie depuis 20 ans et dirige l'Association ouïghoure de Suisse, s'inquiète pour ses proches et tous les membres de la minorité musulmane de Chine qui vivent dans la province du Xinjiang.

Depuis près de deux semaines, des manifestations se tiennent dans plusieurs villes de Chine à la suite de l'incendie d'un appartement dans la province du Xinjiang qui a probablement coûté la vie à plus de 44 personnes. Un autre Ouïgour vivant en Suisse, qui a perdu des membres de sa famille dans l'accident, reproche sévèrement aux Chinois d'avoir verrouillé les issues en raison de la politique du zéro Covid. Mais aussi d'avoir volontairement retardé l'arrivée des pompiers.

Depuis quatre ans, Andili Memetkerim n'a plus de nouvelles de ses parents. Lors de son dernier appel téléphonique avec son père, ce dernier lui avait demandé de ne plus l'appeler, car les conversations étaient sur écoute. L'homme a tenu deux ans avant de composer à nouveau le numéro par nostalgie de ses parents.

Mais la ligne était hors service. «Je n'ai aucune idée de ce qui leur est arrivé, s'ils sont encore en vie. Ils sont peut-être dans un de ces camps de rééducation», témoigne le naturopathe.

«Camp de concentration comme pendant la Guerre mondiale»

Pékin considère les Ouïghours du nord-ouest du pays comme des séparatistes, des extrémistes et des terroristes. En 2014, les Chinois ont commencé à construire des «centres de qualification et de formation professionnelles» dans la province du Xinjiang.

«Une appellation euphémisante, martèle Andili Memetkerim. En réalité, ce sont des camps de concentration tels qu'on les connaît depuis la Seconde Guerre mondiale.» Environ un million d'Ouïghours sont aujourd'hui emprisonnés, estiment les défenseurs des droits de l'homme. Andili Memetkerim parle de 3 millions.

Au début, les Chinois arrêtaient les Ouïghours qui portaient le drapeau avec un croissant de lune blanc et une étoile sur leur T-shirt. Ensuite, il suffisait de téléphoner à des proches à l'étranger pour se retrouver derrière les barreaux.

«Des intellectuels ont également été arrêtés, comme un homme qui avait traduit le Coran en ouïghour dans les années 1980», raconte l'homme. Quelques semaines plus tard, son corps a été remis à ses proches. Entre-temps, la langue ouïghoure a même été bannie des écoles.

Femmes interdites, enfants déportés

À partir de 2017, des arrestations massives ont eu lieu, explique Andili Memetkerim. «Les hommes sont torturés, les femmes violées et stérilisées par opération ou par comprimés afin qu'il n'y ait plus de descendance ouïgoure.» Plus d'un million de mineurs ont été déportés et distribués à des familles chinoises ou à des foyers pour enfants, rapporte le naturopathe.

Le trafic d'organes serait également pratiqué à grande échelle derrière les murs des camps. «Parce que nous sommes musulmans, nos organes sont exportés comme halal dans les pays musulmans», explique Andili Memetkerim.

Parmi les Ouïghours, la peur de la répression chinoise est quotidienne. «Beaucoup dorment habillés et ont préparé un sac avec leurs ustensiles les plus importants pour ne pas se retrouver en pyjama en prison», précise l'homme.

Selon des témoignages, le quotidien dans les camps est brutal: «Les internés doivent lire debout pendant des heures des textes glorifiants la Chine.» En règle générale, seuls ceux qui ont de la famille en Occident peuvent en sortir. «Le gouvernement chinois a peur des reportages négatifs dans les médias occidentaux», affirme Andili Memetkerim.

Celui qui s'enfuit est abattu

Des déclarations comme celles d'Andili Memetkerim à Blick sont confirmées par différentes sources, comme l'ONU et les «Xinjiang Police Files»: la plus grande fuite sur les camps de rééducation gouvernementaux chinois, qui contient des informations sur environ 300'000 personnes enregistrées par les autorités.

Ces fichiers indiquent entre autres que si un «élève» tente de s'échapper, un coup de semonce doit être tiré. S'il tente à nouveau de s'échapper, «la police du peuple l'abattra».

L'ONU confirme les témoignages

Le 31 août dernier, l'ONU a présenté un rapport très attendu sur la situation de la minorité musulmane ouïghoure du Xinjiang. «Les allégations de torture ou de mauvais traitements, y compris les traitements médicaux forcés et les mauvaises conditions de détention, sont crédibles», peut-on lire dans le rapport de 46 pages. Il en va de même pour les allégations de violences sexuelles et sexistes.

«L'ampleur de la détention arbitraire et discriminatoire de membres de la communauté ouïghoure et d'autres groupes à prédominance musulmane (...) pourrait constituer des crimes internationaux, notamment des crimes contre l'humanité», est-il écrit. La communauté internationale doit se pencher «de toute urgence» sur la situation des droits humains au Xinjiang.

L'accusation de génocide, comme le font notamment les États-Unis, n'est toutefois pas évoquée dans le rapport. La Suisse et 49 autres États membres de l'ONU se sont associés à une déclaration dénonçant les violations graves et systématiques des droits humains dans la province chinoise du Xinjiang.

Pékin rejette les accusations

La Chine rejette avec véhémence ces accusations. Derrière ce rapport se trouvent en réalité «les États-Unis et quelques autres forces occidentales». Il est «complètement illégal et invalide», a déclaré le porte-parole du ministère chinois des Affaires étrangères, Wang Wenbin, après sa publication. Il a qualifié le rapport de «ramassis de fausses informations».

Andili Memetkerim est heureux d'être en sécurité en Suisse. Mais ce qu'il préférerait, c'est retourner vivre dans son ancienne patrie. «J'y pense presque à chaque minute», confie-t-il. Mais il n'aura probablement pas l'occasion d'y retourner: «Parce que je vis en Occident et que je raconte la souffrance des Ouïghours, je suis considéré comme un terroriste par les Chinois.»


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