Certaines rencontres officielles ont vocation à disparaître dans le précipice de l’histoire. A regarder l’agonie politique de Boris Johnson, les propos d’Ignazio Cassis à Londres, le 28 avril 2022, après sa rencontre avec le Premier ministre britannique - acculé au départ ce jeudi 7 juillet par les démissions en cascade des membres de son gouvernement - prouvent combien le piège du Brexit est empoisonné depuis le référendum du 23 juin 2016.
«Bien au-delà d’une feuille de route»
«La déclaration commune entre le Royaume-Uni et la Suisse comporte un bilan de toutes les coopérations qui existent entre les deux pays et proclame l’ambition de les consolider et de les développer. Elle va bien au-delà d’une feuille de route» analysait, à posteriori dans Le Temps, l’ancien ambassadeur helvète François Nordmann. Soit. Les dirigeants partent et les Etats restent. Mais dans ce cas, un peu de lucidité impose de revenir sur les mensonges antieuropéens dont «Bojo» avait fait, depuis la victoire du «Leave» il y a six ans, le miel politique de son ascension et de sa popularité du côté de la droite britannique la plus réactionnaire, et des classes moyennes et populaires repliées sur elles-mêmes.
Diabolisation de l’Union européenne
Boris Johnson a fabriqué l’idéologie du Brexit en diabolisant l’Union européenne. Il en avait posé les premières pierres dans les années 90 à Bruxelles, comme correspondant du très conservateur «Daily Telegraph», n’hésitant pas, déjà, à mentir sur les règles communautaires en vigueur et à caricaturer les eurocrates, lui dont le père fut député européen et vient de prendre, le 18 mai, la nationalité française! Croire que la solution aux problèmes bilatéraux entre la Confédération et l’UE pouvait se trouver au 10 Downing Street relevait donc d’une pure illusion. Il ne suffit pas que les universités britanniques et helvétiques partagent les mêmes problèmes depuis leur exclusion des programmes européens de recherche pour que leur avenir soit nécessairement commun. Il ne suffit pas non plus de clamer, comme le fit Boris Johnson durant la campagne du référendum, «We want our country back» (Nous voulons récupérer notre pays) pour que cette réalité soit exaucée.
Retrouvez ici Richard Werly au«Micro européen» de France Info le 9 juillet
Des réalités à méditer pour la diplomatie suisse
Le Premier ministre britannique a décidé de partir en faisant exploser le parti conservateur qu’il avait conduit à la victoire aux législatives en décembre 2019. Celui-ci, désormais, va se déchirer pour lui trouver un successeur. Lequel, évidemment, promettra d’emblée de défendre les intérêts du Royaume-Uni face à Bruxelles. Restent des réalités que la diplomatie et les élus suisses doivent méditer.
Boris Johnson est revenu sur sa parole à propos du protocole nord-irlandais, négocié et approuvé avec l’UE. Il avait fait du mensonge son arme politique de destruction massive, promettant que 350 millions de livres reviendraient chaque semaine dans les caisses du «National Health Service» après le divorce avec l’Union. Il a tenté, pour parvenir à ses fins, de diviser les 27 et de jouer en vain les uns contre les autres. Au final, rien n’a fonctionné et le gouvernement de sa gracieuse Majesté, l’année du Jubilé de platine de la reine Elizabeth II, était devenu la risée de ses interlocuteurs européens.
Ne pas confondre le destin européen de la Suisse et du Royaume-Uni
La leçon doit être méditée à Berne. Il ne s’agit pas, ici, de confondre le destin européen de la Suisse, toujours restée à l’écart de l’Union, et celui du Royaume-Uni, qui lui a claqué la porte. Il ne s’agit pas de contester la légitimité démocratique du référendum britannique de 2016. Il ne s’agit pas non plus de comparer les deux pays: l’un neutre, enclavé au cœur du continent et membre de l’espace Schengen, l’autre allié fidèle des Etats unis, puissance nucléaire et aujourd’hui en pointe de l’assistance militaire à l’Ukraine en guerre.
Il s’agit de regarder le spectacle politique britannique tel qu’il est depuis le Brexit. Lamentable. Piteux. Oublieux de la décence élémentaire requise des dirigeants en temps de pandémie. Sans parler du toboggan vers un possible éclatement du royaume, si l’Ecosse décide de le quitter. Voici, trois ans après l’arrivée de Boris Johnson au pouvoir le 24 juillet 2019, le bilan de sa démagogie populiste en version XXL. Ceux, en Suisse, qui étaient prêts à lui faire confiance sur le dossier européen, feraient bien de s’en souvenir.