«J’ai bien précisé, à la demande du président de la République, que c’est à titre exceptionnel que nous accueillons ce bateau, au vu des quinze jours d’attente en mer que les autorités italiennes ont fait subir aux passagers», a déclaré le ministre de l’Intérieur, Gérald Darmanin, désignant le port militaire de Toulon pour le débarquement.
Il a en outre critiqué le «choix incompréhensible» et contraire au «droit international» de l’Italie, dirigée par un nouveau gouvernement d’extrême droite qui a refusé d’ouvrir ses ports.
«Un tiers» des migrants à bord seront «relocalisés» en France et un autre tiers en Allemagne, a poursuivi Gérald Darmanin, ajoutant que ceux qui ne répondront pas aux critères du droit au séjour ou de l’asile «seront reconduits directement», sans plus de précisions.
Colère de Paris
Si la décision d’accueillir pour la première fois un bateau ambulance en France était un «devoir d’humanité», selon Gérald Darmanin, ce dernier a surtout fait part de la colère de Paris: «Il faut désormais pouvoir organiser les choses différemment pour (ne) pas que l’Italie puisse à la fois profiter de la solidarité européenne tout en étant égoïste lorsque des réfugiés, notamment des enfants, se présentent» à ses ports.
En guise de protestation, la France a décidé de suspendre «à effet immédiat» l’accueil prévu de 3500 migrants actuellement en Italie et promis de tirer «les conséquences» de l’attitude italienne sur les autres aspects de sa «relation bilatérale», a insisté le ministre.
Quatre réfugiés évacués en Corse
Jeudi, quatre des 234 migrants que comptait le navire, dont trois pour des raisons médicales et un accompagnant, ont été évacués vers Bastia (Corse).
Les opérations de secours se sont déroulées en fin de matinée: un hélicoptère de l’armée de l’air avec une équipe médicale a décollé vers 11h de la base de Solenzara en Corse pour aller récupérer les patients, a détaillé auprès de l’AFP le capitaine de frégate Pierre-Louis Josselin, porte-parole de la préfecture maritime.
À 12h15, cet hélicoptère s’est posé à l’hôpital de Bastia, a constaté l’AFP.
L’un de ces patients «est instable et ne réagit pas aux soins prodigués à bord depuis le 27 octobre. Les deux autres ont subi des blessures en Libye qui […] risquent maintenant d’avoir des conséquences négatives à long terme», a détaillé une porte-parole de SOS Méditerranée, qui affrète l’Ocean Viking.
Le Pen critique la décision
Pouvoir accoster à Toulon est «un soulagement teinté d’amertume», a déclaré à l’AFP sa directrice Sophie Beau. Ce long blocage en mer «montre qu’il est urgent que les Etats européens mettent en place un mécanisme de répartition pérenne» pour les migrants sauvés en Méditerranée, après avoir généralement fui la Libye à bord d’embarcations de fortune.
L’accueil de ce bateau a suscité l’ire de l’extrême droite en France, à l’image de Marine Le Pen, qui y voit «un signal dramatique de laxisme». «Avec cette décision, (Emmanuel Macron) ne peut plus faire croire à personne qu’il souhaite mettre fin à l’immigration massive et anarchique», a écrit la présidente du groupe RN à l’Assemblée, sur Twitter.
Bientôt plus de bateaux humanitaires dans les ports français?
«C’est un tournant majeur», a confié à l’AFP une source proche du dossier, évoquant «le précédent politique que cela crée»: «Désormais, les navires humanitaires vont-ils avoir pour réflexe de venir en France quand l’Italie fermera ses ports?»
Si la décision française est «indispensable et bienvenue», car elle va «permettre de sauver des vies», «il y aura, malheureusement, d’autres Ocean Viking», a pour sa part estimé Delphine Rouilleault, qui dirige l’association France terre d’asile. «L’Europe doit augmenter encore la pression sur le gouvernement italien pour le contraindre à respecter ses engagements».
En attendant le débarquement vendredi, l’Ocean Viking remontait désormais au large des côtes orientales de la Corse. Avant lui, trois autres bateaux d’ONG ont, eux, réussi à débarquer les migrants secourus, quelque 800 personnes.
Le mécanisme de répartition ne fonctionne pas
Les autorités italiennes n’avaient accepté, dans un premier temps, que les femmes, enfants et personnes malades, un tri décrit par Rome comme un moyen de pression sur l’UE pour qu’elle aide davantage l’Italie.
Depuis juin, un système de relocalisation, qui avait déjà connu un premier volet en 2019, prévoit qu’une douzaine d’Etats membres, dont la France et l’Allemagne, accueillent de manière volontaire 8000 migrants arrivés dans des pays comme l’Italie, proche des côtes libyennes.
Cependant, seuls 164 ont été relocalisés en 2022 d’Italie vers d’autres Etats membres, dont 117 en vertu du mécanisme adopté en juin. Un nombre insuffisant, juge l’Italie qui affirme que quelque 88’100 personnes sont arrivées sur ses côtes depuis le 1er janvier.
(ATS)