Maros Sefcovic mise sur le printemps bernois pour débloquer les discussions en panne entre la Suisse et l’Union européenne. Tant mieux! Le fait que le vice-président de la Commission européenne envisage, comme il l’a dit ces jours-ci à une délégation socialiste helvétique en visite à Bruxelles, de se rendre à Berne en juin pour y relancer le dialogue sur un possible accord institutionnel, et surtout obtenir des réponses aux dix questions posées par la Commission, est en soi une bonne nouvelle.
L’heure de la vexation est révolue
L’heure de la vexation est donc révolue après le rejet cinglant par le Conseil fédéral du projet d’accord-cadre voici tout juste un an, le 26 mai 2021. La main tendue des deux côtés redevient la règle, après les visites sans résultats de la négociatrice suisse Livia Leu à Bruxelles ces derniers mois. La question est désormais simple: comment rallumer un semblant de flamme bilatérale après l’échec du projet d’accord institutionnel, décrypté par l’universitaire genevois René Schwok dans un excellent livre téléchargeable ici tout juste publié par la Fondation Jean Monnet basée à Lausanne?
À cette question, la Commission européenne attend une réponse suisse depuis un an. Le raisonnement bruxellois est logique: puisque le Conseil fédéral a claqué la porte, c’est à lui de la rouvrir, avec si possible un plan B. Les médias, l’ambassadeur de l’UE en Suisse Petros Mavromichalis, les activistes pro-européens comme le Nomes (Nouveau mouvement européen suisse), les universitaires et tous les familiers de ce dossier bilatéral empoisonné sont d’ailleurs à l’unisson.
Berne empêtrée dans les contorsions diplomatiques
Sauf que rien ne vient de Berne, hormis des contorsions diplomatiques bien éloignées des deux exigences politiques indispensables pour remettre cette négociation sur les rails: trouver un moyen pour garantir aux syndicats helvétiques des mesures d’accompagnement crédibles afin d’éviter un «dumping social» engendré par la libre circulation des travailleurs, et s’assurer que l’instance de contrôle d’un éventuel accord ne sera pas complètement dans les mains des magistrats de la Cour européenne de justice de Luxembourg, qui dit le droit communautaire. En clair: tout accord qui n’apparaîtra pas comme «protecteur» des intérêts sociaux et juridiques de la Suisse, pays non-membre de l’UE situé géographiquement au beau milieu de l’Union, n’aura aucune chance de passer la rampe.
Une idée qui changerait le climat politique
Voilà donc le Slovaque Maros Sefcovic prévenu: rien ne sert de venir à Berne sans avoir, en poche, au moins une idée susceptible de tout changer!
Une idée qui changerait d’abord le climat politique, en montrant que la décision du Conseil fédéral d’appliquer les sanctions européennes contre la Russie, ainsi que le résultat du vote populaire du 15 mai en faveur d’un renforcement des moyens de l’agence Frontex, ont bien été pris en compte à Bruxelles. Une idée qui prouverait la volonté européenne d’éviter avec la Suisse un feuilleton chaotique et douloureux de type Brexit. Une idée qui mettrait en balance les demandes suisses de protection et l’obligation européenne de solidarité sur fond de guerre en Ukraine. Une idée simple, compréhensible par tous, «vendable» à l’opinion helvétique après trois décennies de relations entre la Confédération et l’UE gérées par une centaine d’accords bilatéraux certes complexe, mais efficaces. Au point que beaucoup se demandent, en Suisse, pourquoi il faut à tout prix les abandonner!
Cette idée, Maros Sefcovic n’a qu’à se pencher pour la trouver. Elle est là, devant lui. Elle sera disséquée, lundi 30 mai, lors d’une journée d’études organisée par l’Université de Genève. Il s’agit de la conférence sur l’avenir de l’Europe qui vient de s’achever le 9 mai 2022, ponctuée par un discours d’Emmanuel Macron devant le parlement européen à Strasbourg.
Quatre questions simples
Proposons, au pays de la démocratie directe, une conférence sur l’avenir des relations Suisse-UE! Un cadre simple: des élus, des représentants syndicaux, des chefs d’entreprise, des personnalités issues de la société civile, des juristes et… des citoyens volontaires tirés au sort. Un calendrier transparent: obligation impérative de résultat pour le 26 mai 2023. Un an pile.
Le tout, pour répondre à quatre questions simples: Quelle part des accords bilatéraux existants ne fonctionne plus (évitons de rediscuter de ce qui marche)? Quelles garanties pour la souveraineté suisse? Quelles obligations pour accéder au marché européen? Et surtout, quelles clauses de révision en fonction de l’évolution de la situation dans ce monde en pleines convulsions?
Échec diplomatique et politique
Il est temps, à Bruxelles comme à Berne, que les diplomates et les politiques reconnaissent leur échec. L’alchimie engendrée par leurs interminables tractations est négative. Le Conseil fédéral, le 26 mai 2021, l’a, au fond, reconnu avec franchise.
Faisons donc piloter cette conférence Suisse-UE par des personnalités capables de dire «non» aux dogmes et de l’assumer publiquement. Pascal Couchepin coté suisse? L’ex-Commissaire Viviane Reding coté européen (on peut aussi rêver d’Angela Merkel)? Un an après la porte claquée du 26 mai 2021, l’idée qui peut tout changer doit être l’obsession commune. D’autres sont bienvenues. Monsieur Sefcovic, ne venez pas à Berne les mains vides et sans autre ambition que de sermonner les Suisses. Cela ne servirait à rien!