Cette journée, qui restera marqué dans l'Histoire, avait pourtant bien commencer. L'eau était agréablement chaude, pas un courant d'air ne soufflait sur la plage de Khao Lak. La veille, il y avait une fête de Noël, là où Anita, deux ans, ramassait des coquillages avec sa grand-mère – comme chaque matin. Avant que toute la famille prenne leur petit-déjeuner.
Personne dans ce paradis de vacances thaïlandais ne savait alors, au matin du 26 décembre 2004, qu'un violent séisme avait eu lieu environ deux heures plus tôt, à 85 kilomètres de la côte nord-ouest de Sumatra. Le tsunami était tout au plus une notion abstraite, les systèmes d'alerte précoce n'existaient pas encore. Qui aurait pu s'attendre au pire?
Un mur d'eau de plusieurs mètres de haut
Lorsque Milanka Kurti Fankhauser a remarqué les masses d'eau qui s'étaient accumulées pour former un mur de six à dix mètres de haut, il était trop tard. Anita, sa petite nièce, s'était rendue aux toilettes avec sa grand-mère quelques secondes auparavant. Elle se souvient de leur disparition dans le complexe hôtelier. C'était la dernière fois qu'elle voyait sa maman et la fille de sa sœur vivantes.
Quand Milanka Kurti Fankhauser a regardé au loin, elle était sans voix: la mer s'était tellement retirée qu'elle avait disparu. Elle a pris l'appareil photo. Mais avant qu'elle n'ait pu appuyer sur le déclencheur, elle était déjà prise dans la marée. «J'avais l'impression d'être dans une machine à laver», raconte-t-elle aujourd'hui, 20 ans après.
«Il n'y avait plus que des débris et une terrible ambiance.» Elle n'arrivait pas à nager. Elle ne se rendait compte de rien. Elle se laissait simplement aller dans le courant, jusqu'à ce qu'elle revienne à elle, échouée sur une terrasse au deuxième étage d'un d'hôtel. Quelqu'un a dû la sortir de la vague. Elle était sauvée.
Étourdie par le choc et la douleur d'un coup qu'elle a dû recevoir à la nuque, Milanka Kurti Fankhauser s'est mise à la recherche de ses proches. Tout était couvert de boue, de tessons et de débris de bois. Dans ce chaos, la première pensée de la Suissesse a été: «Je ne veux pas être la seule à avoir survécu.»
Puis, elle a entendu des cris de voix connues. Son fils et son cousin étaient en sécurité, tout comme sa sœur, mais il n'y avait aucune trace de sa mère et de sa nièce. Le tsunami qui a touché la terre en Indonésie, au Sri Lanka et en Thaïlande, et qui a fait plus de 220'000 morts, a également déchiré la famille de Milanka Kurti Fankhauser.
Le sort d'Anita reste incertain
En juillet 2004, six mois après la catastrophe, elle reçoit un appel de Thaïlande. Le corps de sa mère a pu être identifié grâce à un échantillon d'ADN. Elle est repartie, a participé à une cérémonie et a ramené les cendres de sa mère décédée.
Le sort d'Anita reste aujourd'hui encore un mystère. La famille s'accroche à l'idée qu'elle a peut-être réussi à s'en sortir et qu'elle mène désormais une autre vie quelque part, à l'âge de 22 ans. Sana Brauner, la mère d'Anita, a raconté son histoire dans un livre. Il s'intitule «La fille empruntée».
Depuis le drame, Milanka Kurti Fankhauser mène, elle aussi, une autre vie. Avant cela, elle était guide touristique et sauveteuse. Le 26 décembre 2004 marque la ligne de fracture. Ses cheveux sont devenus blancs, son âme et son corps ont été endommagés – les années ont défilé.
Elle s'est formée aux soins avec les énergies. Elle voulait tout savoir sur la guérison. Elle voulait surtout savoir où allaient les âmes lorsque le corps mourait. Cette nouvelle vocation l'a aidée à surmonter ce traumatisme. Aujourd'hui, la gratitude a pris place aux côtés de sa tristesse. «Du fait que j'ai survécu et que je peux être là pour mes fils.»
Mort et désespoir au Sri Lanka
A environ 2000 kilomètres à vol d'oiseau à l'ouest de Khao Lak, dans le sud du Sri Lanka, l'artiste argovienne Heidi Widmer était assise dans sa guesthouse en ce matin de décembre, il y a 20 ans. Elle écrivait. Normalement, elle aurait dû être partie depuis longtemps pour aller à la mer pour y nager – comme d'habitude. Mais ce jour-là, elle a décidé de rester travailler.
Alors qu'elle commençait à se mettre en route, elle a entendu des gens l'appeler – des pilotes suisses qui habitaient une villa sur la colline où se trouvait la maison d'hôtes. Les hommes lui ont demandé de rappliquer rapidement chez eux, en gesticulant furieusement. Après un moment d'hésitation, Heidi Widmer a fait demi-tour.
Elle a alors aperçu la vague engloutir les gens, l'eau se retirer, et l'horreur qu'elle laissait derrière elle. Là où elle se baignait chaque jour dans la mer se trouvait une paroi rocheuse abrupte. «J'ai la chair de poule quand j'y pense aujourd'hui», confie Heidi Widmer dans son atelier de Wohlen (AG), «je n'aurais probablement eu aucune chance.»
On a d'abord pensé qu'il s'agissait d'un événement local, que seule sa baie avait été touchée. Heidi Widmer a pris son vélo et a parcouru cinq kilomètres jusqu'à la ville de Matara. C'est là qu'elle a pris conscience de l'ampleur de la catastrophe. Les bus de la gare étaient éparpillés comme des jouets d'enfants, il ne restait de la grande roue de la dernière fête de la pleine lune que de l'acier grotesquement entortillé.
Heidi Widmer a photographié des saris multicolores accrochés aux arbres, une horloge de cuisine dont les aiguilles s'étaient arrêtées à 10h10. Elle a vu des morts et des blessés, le désespoir et la misère. «Pendant des heures, j'ai traversé ce chaos et j'ai cru que je devenais folle.»
Alors que tous les étrangers qui le pouvaient quittaient le Sri Lanka au plus vite, Heidi Widmer a décidé de rester. Des amis lui ont envoyé de l'argent, avec lequel elle a fondé une petite œuvre d'entraide pour fournir le strict nécessaire à la population en détresse. En février 2005, elle a dû rentrer brièvement en Suisse pour une exposition de ses œuvres d'art, puis elle s'est envolée à nouveau pour le Sri Lanka afin d'apporter son aide.
Les vagues se font plus rares
Depuis, Heidi Widmer n'a jamais cessé de travailler. Aujourd'hui, lorsqu'elle voit des images du tsunami, elle se sent immédiatement ramenée au 26 décembre 2004. Ce qu'elle a vécu est profondément enfoui en elle, témoigne Heidi Widmer, mais elle utilise l'art pour s'exprimer.
Elle doit endurer et s'attaquer à ce traumatisme, couche après couche. Le jour, elle prend un pinceau, la nuit, elle écrit et gribouille ses cauchemars. Des centaines de «livres de nuit» noirs s'alignent dans son armoire. Pendant un certain temps, on pouvait voir sur les pages des figures sombres et de nombreuses vagues. Aujourd'hui, il y en a moins.
Comme Milanka Kurti Fankhauser, Heidi Widmer ressent une grande gratitude d'être encore vivante. Elle peut rencontrer des amies et continuer à travailler. Elle prépare actuellement une exposition dont le vernissage aura lieu en février prochain. Maintenant que la catastrophe a 20 ans, elle a l'impression d'avoir été secouée par le vent. La folie de ces jours et de ces mois ne la quittera plus jamais. «L'homme peut oublier, certes», dit Heidi Widmer, «mais c'est trop ancré en moi».