C’est une scène d’anthologie qui compile tout ce qu’il ne faut pas faire au moment de partager une fondue: dans l’épisode 6 de la saison 2 de «Sex and the City», la protagoniste, Carrie Bradshaw, prépare le plat national suisse pour son amant, M. Big. «J’ai cuisiné», annonce-t-elle fièrement en posant un caquelon «design» sur la table. «En fait, tu as juste réchauffé du fromage» lui répond M. Big en plongeant un morceau de pain dans la masse orange et épaisse qualifiée de «fromage».
Rien ne va dans cette «fândoue», comme le prononcent les deux New-Yorkais, qui est en réalité à base de cheddar et accompagnée de vin rouge dans des verres à fond plat. Mais le pire, c’est qu’ils se nourrissent à tour de rôle avec leurs fourchettes à fondue. Soyons honnêtes: pandémie de Covid ou pas, quel couple suisse, aussi amoureux qu’il puisse l’être, ferait une chose pareille?
Une demande record en 2020
Passée cette image pénible, revenons à la pandémie actuelle. Malgré le déferlement du Covid-19 sur la planète, il n’y a jamais eu autant d'exportations de fromage qu’en 2020. 77’124 tonnes de fromage, de fromage fondu et de fondue prête à l’emploi, d’une valeur de 693,8 millions de francs suisses, ont traversé la frontière, selon la statistique laitière de TSM Treuhand. C’est 1,6% de plus que l’année précédente.
Le volume des exportations de fromage fondu a augmenté de 1,2% et celui de la fondue de 4,9%. Environ 5000 tonnes de fromage prêt à l’emploi ont été vendues dans le monde entier. Une grande partie des ventes a été réalisée en Allemagne, mais aussi dans les pays du Benelux, le Canada, la Grande-Bretagne, la France, l’Espagne et les États-Unis. Les chiffres réels seraient encore plus élevés car ils ne prennent pas en compte les mélanges spéciaux des fromageries dans les statistiques.
Un produit de luxe à s’offrir entre les repas
Le marché de l’exportation s’est bien redressé après un effondrement lors des premières vagues de confinement dans le monde, explique Christa Wettstein de Switzerland Cheese Marketing. En passant toujours plus de temps chez eux, les gens ont pris le temps de s’offrir un plaisir de luxe en partageant un plat spécial comme la fondue et la raclette, notamment à deux. «Par rapport aux autres fromages, le fromage suisse est particulièrement cher à l’étranger» précise Christa Wettstein.
Quand est né cet engouement pour la fondue et la raclette à l’étranger? La fondue a conquis le coeur des riches Européens et Américains qui se sont rendus à Zermatt (VS) et à Gstaad (BE) dans l’après-guerre pour skier. Ils y ont alors goûté la «soupe au fromage suisse» dans les restaurants. Avant la Seconde Guerre mondiale, la fondue elle-même était peu connue en Suisse. C’est dans les années 1950 qu’elle s’est imposée comme un plat national, lorsque l’armée en a inclus la recette dans son livre de cuisine.
La raclette, elle, était connue et appréciée depuis plus longtemps. Le fromage fondu valaisan existe depuis 1574, et il était même utilisé comme moyen de paiement ou de rémunération jusqu’au XIXe siècle.
Déguster une fondue: le huitième péché capital?
Récemment, la raclette a connu un renouveau, notamment en Allemagne. En 2019 déjà, avant la pandémie de Covid-19, les exportations avaient augmenté de 60%. C’est probablement à cause (grâce?) aux réseaux sociaux, déclare un représentant de Raclette Suisse au «Landwirtschaftlicher Informationsdienst». Le hashtag #Raclette a été l’un des plus populaires sur le portail Twitter en Allemagne.
Aux États-Unis, la raclette est depuis quelque temps au menu de restaurants de plus en plus branchés. Selon un auteur du portail gastronomique américain «Eater.com», le fait que le plat ait mis longtemps à traverser l’Atlantique pourrait être dû au fait qu’il a été difficile d’importer du fromage pendant longtemps aux États-Unis. La pénurie a été causée par l’Union suisse du fromage, qui a limité la production. En 1970, 1000 tonnes de fromage à raclette étaient produites en Valais et 1000 tonnes dans les autres cantons. Après la dissolution de l’Union en 1999, le volume de production est passé à 2000 tonnes en Valais et à 10’000 tonnes dans les autres cantons.
Contrairement à l’expérience de la raclette qui a plutôt bonne réputation, il y aurait apparemment une connotation libidineuse au fait de manger une fondue aux États-Unis. Le ponte canadien de la gastronomie, David Sax, a écrit par exemple dans un commentaire pour le «Tages-Anzeiger» que la fondue et le sexe allaient «en quelque sorte» de pair dans les années 1960 et 1970. Le premier livre sur les soirées fondue de 1962 regorgeait d’allusions érotiques. Il parle d’ambiance tamisée et de fondues dégustée à la bougie ou encore de jeux de drague: si tu perds ton pain, tu dois embrasser quelqu’un, dictent par exemple les instructions. Rien d’étonnant en sachant cela que la fondue ait eu une scène dédiée dans la série «Sex and the City».