«Mon attaché de presse m’a presque engueulé de venir chez Blick alors que je n’ai pas vraiment de nouveauté à présenter.» Voilà les premiers mots, après «Salut», que lance Blaise Bersinger quand il arrive dans les locaux de la rédaction. Casquette visée et jean retroussé, le Lausannois offre un large sourire, qu’il semble parfois masquer avec une blague quand on le sent gêné, comme s’il s’excusait d’être là.
Gêné? Un contraste avec le rôle de roi de l’humour que l’on peut voir sur ses multiples canaux ou ceux de la RTS. On lui fait remarquer que c’est surprenant alors qu’il semble évoluer comme un poisson dans l’eau dans le petit milieu de l’humour romand. Il rétorque: «Oui, en cela je ressemble à Thomas Wiesel, même si je ne suis pas aussi timide que lui. D’ailleurs dans le podcast qu’il a fait avec Kyan Khojandi et Navo, un moment il dit que les interactions sociales avec les gens, ça ne le dérange pas, mais ça lui coûte, et là je me reconnais!» Avant de nous balancer: «Au fait, je pourrais vous parler de ces poignées de placards de cuisine gondolées qui pour moi sont un choix artistique tout à fait discutable.» Il est comme ça le vrai Blaise, aussi loufoque qu’un peu farouche.
L’écriture grâce à l’improvisation
Son type d’humour, que l’on ne saurait qualifier autrement qu’«absurde», au sens noble, Blaise l’explique par ses débuts. «Ado, je faisais des matches d’improvisation. Ça m’a appris à jouer, à imaginer des situations plutôt que de faire des punchlines. Donc dès le départ ce qui me faisait rire, c’était plus de jouer, parfois singer un personnage, plus que clasher ou faire un bon mot», raconte celui qui a une tendresse particulière pour cette forme de théâtre. «Tout vient de l’impro. C’est ma discipline mère, j’ai commencé par là et tout ce que je fais encore maintenant vient de là. Aujourd’hui, quand j’écris, j’improvise le premier jet, ensuite je rebidouille le texte pour que ça fonctionne. C’est je pense pour ça que ça semble peut-être plus spontané qu’un stand-upper.»
Et d’ajouter, évidemment en se marrant: «On pourrait penser que je suis un branleur, mais je bosse énormément. Je suis détendu dans ma rigueur et je fais toujours confiance à ma première idée.»
En ce moment, en ping-pong avec ses compères Julien Doquin de Saint Preux, Yann Marguet, Valérie Paccaud et Yacine Nemra, Blaise couche ses idées sur le papier pour la saison 3 du programme humoristique «Bon Ben voilà», alors que la saison 2 est en cours de diffusion sur la RTS.
Il confie avoir changé son fonctionnement, alors même qu’il déborde d’idées et est également de retour sur les ondes de Couleur 3 pour des chroniques. «J’ai eu une année ou j’ai dû faire gaffe, je crois que c’était en 2018, j’avais repris «Mauvaise langue» à la RTS après Thomas (ndlr: Wiesel), et j’avais la première Revue de Lausanne en même temps. On écrivait l’émission la semaine et tous les soirs je jouais, j’ai enchaîné derrière avec pleins de choses. J’ai toujours réussi à faire le taff, mais au bout d’un moment j’étais fatigué – je n’ai pas eu de burn-out, et je pense pas que j’en ferai un, mais j’ai appris à dire 'OK la maintenant, faut freiner'.»
Un moment suspendu et un gag
À peine s’est-il confié sur un passage plus compliqué de sa carrière, que quelqu’un entre dans la cuisine de la rédaction. «Et c’est comme ça que j’ai arrêté le curling», hurle Blaise, avant d’enchaîner en pouffant: «Ça me fait penser à cette anecdote: quand j’étais ado, j’ai fait un séjour linguistique en Allemagne et il y a une semaine où Ute n’était pas là. En fait, Ute était loin pour le championnat du monde de mini-golf.» Rires. Grand sourire.
Il nous ferait penser à un jeune Magritte des planches, mais lui ne se voit pas en surréaliste lorsqu’on lui demande à quel peintre il pourrait s’identifier: «Mmh, c’est marrant, je penserai à Mondrian.» Il développe: «Il ne se faisait pas chier. Ce sont des lignes et des couleurs. De simples carrés, c’était gonflé, mais ce n’est pas aussi si simple et ça a marché.» Mais ATTENTION, Blaise tient à ce que les choses soient claires: «Je ne m’y connais pas trop en peinture!»
Son côté magicien qui se sort des situations avec poésie et dont il «commence à avoir conscience», il le met au service de son art et de l’actu, mais d’une certaine manière. «L’actu, ce n’est pas un besoin pour moi. Après, le milieu des médias dans lequel on évolue demande quand même ça, alors je prends l’actu comme un terreau. Je pense que j’ai un regard qui est souvent porté sur la forme qu’ont les choses. Typiquement pour ma chronique de Nouvel an (ndlr: voir ci-dessous.), ça m’a fait rire de faire un TOP des tendances pour 2022, parce que ce concept de tendance me fait rire, et comme je n’ai aucune idée de ce qui va être tendance, j’y mets n’importe quoi, mais le fond n’est pas absurde.»
Le futur de l’humour et le sien
Impossible de discuter avec un humoriste, ces derniers temps, sans passer par la case polémique. Seulement, lui n’en a pas encore provoquée à ce jour. Le plus sérieusement du monde, il explique: «Déjà, je préfère ne pas trop l’ouvrir sur les polémiques des autres, parce que ne l’ayant jamais vécu, je ne sais pas moi-même comment je réagirais. Mais si ça devait m’arriver, je m’excuserais tout simplement.» OK, on prend, mais est-ce que sa manière de voir l’humour et de le faire a changé? Il acquiesce naturellement: «Oui, d’ailleurs je ne pense pas que ce soit un problème, il y a des blagues que j’ai écrites il y a cinq ans que je n’écrirais plus, mais je ne regarde pas ça en me disant 'Merde, on me censure'. Je me dis qu’on évolue et je trouve plus challengeant de changer mon style d’écriture en fonction des mœurs qui évoluent que de se dire qu’il faut se battre contre ces mœurs qui nous empêchent d’écrire. Mais encore une fois, je n’ai jamais été confronté à ça.»
C’est que Blaise, outre de ne pas avoir créé de polémique, est un homme heureux qui s’estime chanceux, et il le confie avec humilité: «Souvent, on me demande quels sont mes objectifs ou mes rêves, et il se trouve que je n’en ai pas vraiment. Ado, j'en avais, mais j’ai la chance de les avoir atteints. Du coup, je ne cherche pas à plaire, humainement ou professionnellement. Alors on pourrait prendre ça pour de la nonchalance, mais c’est vrai, j’ai eu de la chance dans ma carrière d’humoriste, je n’ai jamais eu à me battre, à provoquer des opportunités, on m’a toujours proposé pleins de choses. Je suis satisfait.»
Pour la suite, en plus de son travail pour la RTS et de ses shows avec ses troupes d’improvisations, il entamera en juin la tournée du spectacle «Les gens meurent», qu’il a coécrit. Et «si ça marche bien, on suivra en automne-hiver 2022 dans toute la Suisse romande». Côté solo sur les planches, même s’il ne remarque même pas que cela ressemble à un rêve… il «aimerait trop» faire un one-man-show improvisé, dont il prépare un crash test pour cet automne: «Je me réjouis de voir si j’en suis capable et si oui, ça peut être cool!»
Il reste des places pour «Les Gens Meurent» le mardi 7 juin 2002 à la Salle Métropole de Lausanne sur Ticketcorner.