Mon voyage au Portugal commence par une surprise. À l’aéroport de Zurich, je tombe sur la célèbre experte en vins suisse Chandra Kurt, qui attend également son vol pour Porto à la porte d’embarquement. Elle va, entre autres, rendre visite à un fabricant de liège, me dit-elle, pour en savoir plus sur l’extraction de l’écorce.
De mon côté, je n’ai pas prévu d’aller visiter les chênes-lièges, mais deux producteurs de vin réputés dans la vallée du Douro. Depuis la ville portuaire de Porto, vous pouvez vous rendre à l’intérieur des terres en bateau sur le fleuve qui serpente jusqu’à Pinhão, en chemin de fer avec le train historique ou tout simplement en bus ou en voiture.
Au-delà du porto
Région viticole la plus connue du Portugal, la vallée du Douro est aussi la plus grande du pays. On y produit des vins d’origine protégée sur plus de 41 000 hectares, soit près de trois fois la superficie du vignoble suisse. La région du Douro est connue depuis longtemps pour ses portos, des vins mutés et doux. Rares sont les amateurs de vin à savoir que le Portugal produit également des vins traditionnels de très grande classe. J’ai donc voulu creuser la question en rendant visite à deux entreprises modèles.
Niepoort
Nommé directeur en 2021, Daniel Niepoort incarne la sixième génération à la tête du domaine viticole familial traditionnel, fondé par ses ancêtres en 1842. Si, au siècle dernier, la production de portos classiques avait le vent en poupe, les Niepoort ont compris très tôt que le tassement de la demande en faveur du porto nécessitait une diversification. Ils ont donc décidé de mettre l’accent sur la production de vins traditionnels.
Aujourd’hui, le porto ne représente plus qu’un quart de la production du domaine Niepoort. Même si les classiques ruby, tawny, vintage ou colheita port font toujours l’objet des plus grands soins, le domaine Niepoort n’échappe pas à la tendance observée dans presque tous les domaines viticoles de la région: moins de portos et plus de vins traditionnels, sans alcool ajouté.
Dans les verres, on trouve donc de plus en plus de vins blancs et rouges d’une élégance rafraîchissante, presque juvénile, avec une teneur en alcool étonnamment faible, souvent autour de 11 ou 12%. La surprise est d’autant plus grande que la vallée du Douro peut atteindre des températures extrêmes en été, ce qui donne souvent des vins très mûrs et massifs dans d’autres régions viticoles au climat similaire. L’un des moyens existant pour préserver la fraîcheur dans le vin est de récolter les raisins de plus en plus tôt.
Le Fabelhaft Branco, élaboré à partir des cépages rabigato, codega et gouveio, séduit par ses notes virevoltantes d’agrumes et de fruits à noyau, portées par une acidité perlante qui fait de ce Branco un
vin blanc cristallin et rafraîchissant. Il me plaît d’ailleurs presque encore mieux que son équivalent en rouge. Mais le fleuron de la gamme est le Turris 2018, issu des raisins d’un minuscule vignoble de 0,8 hectare, produisant pas moins de 30 cépages locaux macérés ensemble.
Quinta de la Rosa
La propriétaire du domaine, Sophia Bergqvist, me fait d’abord découvrir les vignobles étayés par des murs de pierre, avec vue imprenable sur le fleuve Douro. Ces terrasses historiques, plus connues sous le nom de socalcos, sont classées au patrimoine culturel mondial de l’UNESCO et ne peuvent pas être démolies. Si vous voulez profiter de la meilleure vue sur ces impressionnantes constructions, le mieux est de réserver une croisière en bateau de Porto à Pinhão.
À l’intérieur des caves, je me trouve pour la première fois dans les lagares, ces bassins traditionnels en granit ou en ciment dans lesquels les raisins sont foulés aux pieds après la récolte. Pour inhiber
une fermentation prématurée, le moût de raisin est maintenu à basse température grâce à des éléments réfrigérants placés sur les côtés des lagares. Bien entendu, les vieux fûts en bois ne manquent pas à l’appel. Présents en différentes tailles, ils abritent notamment des portos classiques qui vieillissent là paisiblement.
Avant de parler des vins, je me souviens avoir été frappé par le fait que la Quinta de la Rosa est un domaine débordant de vie: les clients y séjournent dans les chambres de l’établissement, se détendent au bord de la piscine ou dégustent des spécialités locales dans le restaurant moderne avec une vue magnifique. Comme me le confirme Sophia Bergqvist, l’activité touristique a explosé ces dernières années, contribuant aujourd’hui pour une grande part à la survie financière de domaines viticoles comme la Quinta de la Rosa.
À l’instar de chez Niepoort, les vins blancs, rouges et même rosés traditionnels, non mutés, impressionnent par leur fraîcheur tonique et leur élégante prestance. Les amateurs de bombes de fruits concentrées et opulentes repartiront bredouilles d’ici. Permettez-moi de mettre en avant les vins rouges du millésime 2021 pour leur équilibre parfait et leurs arômes fruités d’une grande précision. Bien sûr, les portos méritent également l’attention, en particulier le tawny port de 30 ans d’âge, sensuel et d’une immense complexité.