Touche pas à mon porc
Pour ou contre le partage des plats au restaurant?

Convivial pour les uns, cher et pénible pour les autres, le concept des assiettes à partager a beau se retrouver sur bien des cartes de restaurants, il ne fait pas l’unanimité. Attention, débat enflammé!
Publié: 23.06.2023 à 20:03 heures
Peut-on encore manger son assiette sans avoir à la partager?
Photo: Shutterstock
Tiphaine Thuillier

L’autre jour, Marine est sortie au restau avec des copines. En leur donnant la carte, le serveur a immédiatement précisé que la maison recommandait «de partager» et qu’il fallait environ «trois à quatre plats par personne».

La jeune informaticienne a pris sur elle et a demandé d’un ton conciliant à ses camarades: «Et vous, qu’est-ce qui vous tente?» mais elle avait secrètement envie de râler. «Je déteste ça, lâche-t-elle avec spontanéité. On met un temps fou à se mettre d’accord sur le choix des plats, il faut toujours faire des concessions. Moi quand je vais au restau, j’ai envie de prendre quelque chose qui me plaît vraiment et d’en profiter tranquillement. Pas de passer 20 minutes à chercher un consensus et me retrouver ensuite à devoir manger un truc qui ne me dit rien. C’est peut-être un peu individualiste, mais j’assume!»

Marine n’est pas la seule à préférer les plaisirs culinaires solitaires. Dans un article du «New York Times» publié en 2018 et intitulé «Est-ce que vous en avez secrètement marre de partager au restaurant?», le journaliste Alex Williams le disait déjà sans détour: il déteste voir la fourchette de son voisin farfouiller dans son assiette. Rien à faire, ça le crispe! A tel point que sa femme doit l'excuser auprès du serveur et des convives, expliquant «penaudement» qu'il n'aime pas les plats à partager. «Peut-être que c’est parce que je suis câblé pour une sorte de monogamie culinaire. Mon cœur veut ce qu’il veut. Si je veux terminer ma côtelette de porc seul, est-ce que ça me rend égoïste ou loyal?», interroge-t-il.

Une solution pratique en cuisine

N’en déplaise à Marine ou à Alex Williams, le restau se vit de plus en plus en mode partage. On peut presque parler de tendance tant les restaurants s’y sont mis des dernières années. «Je ne suis pas sûr qu'on puisse parler de mode, relativise Marc Popper, le fondateur du Bombar à Genève. Ça fait des millénaires que les Grecs et les Méditerranéens au sens large mangent comme ça en mettant des pitas, du tzatziki et des fritures sur la table. Chacun goûte en même temps à tout, c’est simple et chaleureux.»

Le restaurateur a tout de suite eu l’idée de proposer une carte restreinte avec des petites assiettes et des plats à partager. «J’avais ce concept en tête depuis longtemps et c’était une solution pratique pour nous car notre cuisine est assez petite donc on n’aurait pas pu gérer une formule plus classique».

Pourtant, ces derniers mois, le restaurateur genevois a entendu de plus en plus de voix dissonantes à ce sujet. «Depuis le covid, il y a une sorte de lassitude vis-à-vis de ce modèle, souligne-t-il. Je pense que pour plein de gens, l’idée de manger dans la même assiette est impossible». Face à ces velléités sanitaires, le restaurateur propose désormais aux gens de se servir une portion dans leur assiette, histoire que chacun garde ses miasmes.

Les petits appétits s'y retrouvent

Camille, quadragénaire habituée à sortir beaucoup, l'avoue sans détours: elle s’en fiche éperdument des règles d'hygiène et partage volontiers, et sans arrière-pensées: «J’aime bien, car ça casse le côté guindé et plombant du trio entrée, plat, dessert, commente cette enseignante. Et si tu n’as pas très faim, tu picores et c’est très bien. Franchement cette solution n’a que des avantages». L’argument de l’appétit est souvent mis en avant par les professionnels de la restauration qui y voient une manière pour les appétits de moineau de profiter du moment. «On préconise plusieurs plats, mais ce n’est pas non plus une obligation, si bien que les petits mangeurs s’en sortent bien», poursuit Marc Popper.

Mais le responsable du Bombar ne s’en cache pas, les tables qu’il préfère sont celles qui commandent en masse, voire qui recommandent deux ou trois fois le même plat. «J’aime ce côté dynamique, cette manière de commander des choses à la volée, au coup de cœur, sourit Marc. Même si pour l’équipe qui sert, c’est un rythme plus exigeant». Camille, elle aussi, adore ça: «C’est un peu comme à la maison ou chez des amis, quand on aime, on se ressert. J’aime bien cette possibilité, je trouve que ça rend la soirée au restaurant plus spontanée».

Attention à l'addition!

A un détail près : il faut payer. L’argument de la note revient souvent dans le discours des anti-partage. Quatre plats par personne, à 15 ou 20 francs, en ajoutant les boissons: l'addition est salée. «C’est toujours l’arnaque, s’agace Marine. On commande trop parce qu’il y a toujours quelqu’un qui a plus faim que les autres et au final, ça nous revient cher».

Marc Popper n’est pas d’accord avec cette affirmation. «La note n’est pas forcément plus élevée et pour les clients je trouve que c’est pas mal car ça permet de goûter à plus de choses». Un argument qui ne convainc pas du tout Marine, toujours farouchement rétive à l’idée de partager. «Moi je m’en fiche de goûter à tout, je fais un choix dans une carte et je m’y tiens!» Visiblement, elle n’est pas sur le point de changer d’avis pour ses futures sorties entre amies…

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