Juste une poignée. Encore une. Allez, trois chips et j’arrête! Mais on grignote de plus belle, sans faim, jusqu’à ce qu’il n’en reste plus une seule. Ça vous rappelle quelque chose? Que celle ou celui qui n’a jamais englouti un paquet entier de chips nous jette le premier bol de cacahuètes!
Mais pourquoi sommes-nous si faibles face à ce croustillant, ce goût salé, ces arômes de paprika, de vinaigre ou d’oignons à la crème? Bienvenue dans le monde diabolique de la palatabilité, celui des aliments qui nous attirent plus que les autres. Pour comprendre ce qu’il s’y passe, on a demandé l’éclairage de Muriel Clarisse, diététicienne et responsable du domaine des consultations ambulatoires du Service d’endocrinologie, diabétologie et métabolisme du Centre hospitalier universitaire vaudois.
«Les chips ont une valeur hédonique élevée», résume la spécialiste. Ce qui signifie qu’ils nous donnent envie d’en manger toujours plus, juste pour le plaisir. La faute à notre cerveau, accro aux récompenses. Hyper appétissantes, les chips activent en effet des circuits neuronaux déclenchant la production de substances comme la dopamine, qui entrainent un sentiment de plaisir intense, jusqu’à provoquer une sorte de compulsion et une envie incontrôlable d’en manger.
«La composition des chips peut contourner les mécanismes physiologiques de rassasiement et activer les circuits de récompense cérébrale», ajoute-t-elle. «La recherche de plaisir peut alors devenir addictive.» Et ce ne sont pas les seuls aliments susceptibles d’amorcer un tel phénomène: difficile aussi de s’arrêter lorsque l’on attaque un paquet de bonbons ou de biscuits, un pot de glace, un cornet de frites ou encore un bol de cacahuètes.
Un trio infernal
Le point commun de tous ces aliments? Ils sont riches en graisses, en sucre et/ou en sel, des nutriments plaisir qui stimulent nos sens. En les maniant avec précision, l'industrie alimentaire parvient à faire d'une simple patate un produit à la texture et à la saveur irrésistibles.
En consommant des chips, on va ainsi au-delà de la faim physiologique pour satisfaire une faim hédonique, c’est-à-dire par pur plaisir. Mais ce n’est pas tout. Car en plus d’être hyper appétissantes, la composition nutritionnelle des chips en fait un aliment avec un effet rassasiant médiocre malgré un nombre de calories très élevé, notamment à cause de sa teneur élevée en graisse et en raison de l’absence de fibres alimentaires. De quoi perturber la satiété que nous devrions normalement ressentir lorsque nous avons suffisamment consommé de nourriture. «C’est ce qui nous permet d’en manger sans faim et sans fin!», ponctue Muriel Clarisse.
Mais la comparaison avec une véritable addiction s’arrête là. Car la difficulté à ne pas terminer un paquet de chips n’a heureusement pas grand-chose à voir avec le manque de drogue, de tabac ou d’alcool. «On parle d’addiction quand l’acte de manger devient compulsif et incontrôlable, et lorsque des efforts considérables sont faits pour assouvir ce besoin irrépressible», ajoute la spécialiste. On glisse ici vers le domaine des troubles du comportement alimentaire, des maladies à prendre très au sérieux et qui n’ont rien de comparable avec l’envie ponctuelle de terminer un paquet de chips.
Interdit, mais encore plus envie
Reste que satisfaire régulièrement sa faim hédonique en engloutissant ce type d’aliments peut vite avoir des conséquences sur la balance et notre santé. Devrions-nous tout simplement nous en priver? «Surtout pas!» répond la diététicienne, qui rappelle que le plaisir est important dans l’acte de manger, et que l’interdit ne ferait qu’augmenter l’envie. «Résister sera de plus en plus difficile, et ne rendra que plus compulsive la manière de manger lorsque l’on craquera.»
Afin de nous aider à rester «raisonnables», elle glisse encore quelques conseils de bon sens. Et ça commence dans le magasin. On évitera ainsi d’acheter des grandes quantités de chips à la fois, quitte à privilégier un sachet individuel si l’on est seul, par exemple. Elle recommande aussi de ne pas faire de réserves à la maison, mais d’en acheter occasionnellement, lorsque l’envie s’en fait ressentir – «et pas parce qu’ils sont en action!». Mieux vaut par ailleurs renoncer à manger les chips à même le paquet, mais préférer en disposer une portion dans un bol ou une assiette, puis le ranger. Rien n’interdit enfin de se lécher les doigts et de les tremper dans les miettes salées restées au fond. Hédonique, on a dit.