Rien ne les arête
Une vague de poissonneries déferle sur la Suisse romande

Près de 90% des poissons étant achetés en supermarchés en Suisse, les gourmets restent souvent en rade. C’était sans compter sur la récente montée en ligne des poissonneries, à l’initiative de plusieurs amoureux des produits de la mer.
Publié: 18.06.2022 à 06:14 heures
Des poissonniers qui pour certains viennent de Bretagne, ça fait penser à quelqu'un...
Photo: SYLVAIN CAMBON
Elodie Maître-Arnaud

En Suisse, nous mangeons un peu plus de 9 kg de poissons et fruits de mer par an et par habitant, une consommation en hausse d’environ 60% par rapport au début des années 1990. Parmi les plus populaires à la maison, on trouve le saumon, les bâtonnets de poissons panés et les crevettes. Des espèces consommées à vingt mille lieues de leur mer, et dont les qualités gustatives ne sont pas toujours convaincantes…

Dans le créneau du commerce de détail, c’est la grande distribution qui tient le haut de la nasse, selon les chiffres cités dans une étude de la Haute école des sciences agronomiques, forestières et alimentaires (2018). 80% des poissons et fruits de mer sont en effet vendus par Coop et Migros, et un peu plus de 12% par Manor. La petite part restante est constituée par les pêcheries traditionnelles – pour les espèces indigènes d’eau douce –, par quelques petits étals dans les commerces de proximité, et par de rares poissonneries.

Enfin ça, c’était avant. Car depuis deux ou trois ans, plusieurs établissements spécialisés sont sortis des flots en Suisse romande pour nous faire (re)découvrir toutes les richesses du banc et de l’arrière-ban(c).

Le club des amoureux de la mer

L’envie de proposer des poissons d’exception titillait depuis longtemps le couple d’entrepreneurs Lois Vitry-Trapman et Lorenzo Wiskerke. «J’ai grandi en Hollande, au bord de la mer, explique Lorenzo, et j’avais de la peine à trouver ici des produits de qualité à des prix abordables». En 2012, ils fondent Royal Fish, un semi-grossiste qui propose aux restaurateurs et aux collectivités des poissons et fruits de mer en provenance des côtes européennes – Bretagne, Hollande et Belgique principalement. «Nous avions déjà l’ambition d’offrir cette fraîcheur et cette qualité directement aux consommateurs», ajoute Lois. C’est chose faite en 2020, avec l’ouverture de leur premier Fish Club, en haut de la rue du Petit-Chêne, à Lausanne. Les amateurs frétillent… et ça mord!

Dans leur poissonnerie/épicerie fine, les clients sont séduits par une jolie sélection de poissons entiers, qui partagent toute l’année le banc de glace avec les fruits de mer, et par les autres produits marins, frais ou en conserve, tous rigoureusement sélectionnés par les maîtres des lieux. Leur spécialité? Le poisson pêché à la ligne, que l’on peut commander la veille jusqu’à 15 heures pour le lendemain. Difficile de faire plus frais pour la Suisse! Le couple travaille en direct avec des criées de petits pêcheurs. «Ce qui nous permet aussi d’être jusqu’à 30% moins chers que les étals premium de la grande distribution [comptez 69 francs le kilo pour le dos de cabillaud de ligne, 42 pour le turbot sauvage ou encore 80 francs pour le bar de ligne, ndlr.]», affirme Lois.

Fort de ce succès lausannois, un second Fish Club – qui fait aussi bar à huîtres – vient d’ouvrir à Genève, à une brasse des Halles de Rives. A suivre encore d’ici 2024, une autre enseigne à Zurich.

Pour que poisson ne rime pas seulement avec saumon

C’est aussi dans ce créneau haute qualité/ultra fraîcheur que Pesca Rouge a plongé à l’automne
2020, afin de régaler les Genevois. A la barre de cette poissonnerie de Carouge, Anaïs et David Comerro. Elle a des origines bretonnes ; il est tombé amoureux d’elle… et de la grande bleue.

«Presque tout ici est breton et provient directement de pêche à la ligne ou de petits chaluts, raconte
Anaïs. Sauf quelques incontournables, comme le saumon label rouge d’Ecosse.» Difficile en effet de faire changer les habitudes de leur clientèle pour qui poisson rime encore (trop) souvent avec saumon. Mais le couple y travaille, en mettant en avant des espèces moins connues, comme le lieu jaune, un poisson typique de Bretagne.

Curieux, les clients font confiance à Pesca Rouge et se prêtent de plus en plus volontiers à découvrir d’autres espèces. «Et puis, ils se rendent compte que le poisson n’est pas aussi compliqué à cuisiner qu’on le croit, ajoute Anaïs. C’est juste une question de cuisson!» L’établissement dispose également d’un vivier où barbotent homards, langoustes et tourteaux. De Bretagne bien sûr. Comme les huîtres proposées toute l’année, et qui peuvent être consommées sur place dans le Sea food & oyster bar de la poissonnerie.

Food truck et pêche en ligne

La vague des poissonneries a également atteint La Côte. A Nyon, c’est Nicolas Doucet, alias Ty Nico (un autre Breton!), qui régale en important des produits de la mer directement depuis Lorient et Boulogne-sur-Mer, en France. Lui aussi ne travaille qu’avec de la pêche de petits bateaux. «Ça a été un peu dur au début, car les gens sont plutôt habitués aux poissons du lac, confie-t-il. Je peux maintenant me permettre davantage de propositions à l’étal. Je mets en avant par exemple le filet de sébaste».

Ses best-sellers? Le turbo ou un bon bar de ligne. Côté fruits de mer, chez Ty Nico aussi, c’est toute l’année. Et pour conquérir les assiettes de la région, Nicolas largue régulièrement les amarres au volant de son food truck. Il propose ainsi ses produits frais – et ses fish & chips – sur le marché de Morges, ainsi que dans les villages de Bursins et de Trelex.

De la pêche à la ligne à la poissonnerie en ligne, il n’y avait qu’un fil. Mathieu Petel et Julien Bertinelli l’ont déroulé pour relier la filière de la pêche durable à l’assiette des Romands, grâce à Fish to go. «Nous nous fournissons auprès de criées françaises situées principalement à Lorient, Cherbourg et Sète, précise Mathieu. Et uniquement en pêche côtière ou en élevage durable à taille humaine».

Le principe est simple: il suffit de passer commande sur leur site web jusqu’au mardi soir, et les produits sont livrés à domicile (dans des colis 100% recyclables et permettant de maintenir le froid jusqu’à 24 heures) ou dans l’un des 15 points relais (à Lausanne, Genève et Bulle) le mercredi, jeudi, vendredi et samedi. Fish to go est également présent sur les marchés lausannois, trois fois par semaine. Pas de doute, un parfum d’embruns flotte sur la Suisse romande. Tendez l’oreille, on croirait presque entendre l’écho lointain des criées…

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