Poubelle la vie
Non, la cuisine anti-gaspi, ce n'est pas que pour les hippies

Vous pensez que la cuisine anti-gaspi, ne donne que des plats de seconde zone? Erreur: apprêter les restes peut même confiner au sublime. J’ai testé la cuisine zéro déchet d’un chef étoilé. Et franchement, il n'y a rien à jeter!
Publié: 17.06.2023 à 11:30 heures
Le chef Martin Göschel construit des plats autour de déchets alimentaires.
Photo: DR
Jennifer Segui

J’étais toute guillerette. La perspective d’aller faire un atelier de cuisine avec le talentueux chef du restaurant étoilé de l’un des plus beaux hôtels de Gstaad avait de quoi séduire. A la tête des tables des cuisines de l'Alpina Gstaad depuis maintenant six ans, l’Allemand Martin Göschel excelle dans ses propositions parfaitement en harmonie avec le lieu. Dans ses assiettes créatives, influences françaises, italiennes, asiatiques et sud-américaines se marient à la riche palette des produits locaux et aux trésors de la nature, herbettes et autres fleurs sauvages. Servis dans des contenants détournés, dessinés plus que composés, ses plats raffinés créent toujours la surprise.

Las…Quelle ne fut pas la mienne, de surprise, à la lecture de l’intitulé de l’atelier auquel j’étais conviée. Cuisine offcut. Traduction: des recettes où l’on apprête tout ce qui finit souvent à la poubelle lorsqu’on en a retiré les parties nobles. Adieu veaux, vaches, cochons, tomates charnues et caviar à gogo! J’allais devoir composer avec des os et des épluchures.

Transformer la contrainte en avantage

Réduire au maximum les déchets. Martin Göschel relève le pari à chaque fois qu’il crée une nouvelle carte. Pour être en accord avec l’air du temps. Question de principes aussi, puisque l’hôtel tout entier s’inscrit dans une démarche de durabilité. Alors, tout en étant conscient de jouer les équilibristes, tant il est difficile de ne pas satisfaire les envies de clients cinq étoiles, le chef fait le maximum pour réduire l’empreinte carbone dans ses restaurants.

La viande, il l’achète bête entière, et la cuisine from nose to tail - du museau jusqu'à la queue, sans bouder les bas morceaux. La boulangerie est faite maison pour mieux gérer les flux. Et pour le reste, Martin Göschel cogite, invente, innove pour que la contrainte se transforme en avantage: «Lorsque je réfléchis par exemple à la manière de réutiliser le pain en en faisant de la chapelure, ça ne m'intéresse pas de me dire que je peux m’en servir pour juste paner quelque chose, une schnitzel par exemple. Je cherche comment incorporer cette chapelure comme un ingrédient à part entière, pour qu’il fasse la différence dans mon plat.»

Une démarche couronnée de succès, puisque l’hiver, c’est dans une dameuse reconvertie en food truck que ses recettes offcut sont servies sur les pistes de ski. Et sur la carte du restaurant, l’art d'accommoder les restes ne laisse personne sur sa faim.

La poubelle reste vide

Sandre aux écailles irisées et à l'œil brillant, petites carottes nouvelles multicolores, condiments multiples et chapelure fine… C’est rassurée par les mots du chef, et par la mise en place des ingrédients de premier choix nécessaires à cette recette de crêpes au poisson et légumes, que j’entame la leçon. Sous les ordres de Martin et son second, j’enfile mon tablier et je prends en charge le poste dédié aux condiments et crêpes, tandis qu'un confrère journaliste, lui aussi convié à l'exercice, va s'occuper du poisson.

Pendant qu’il apprend à apprêter la bête en retirant tête, arêtes et peau et en levant les filets, je m’attaque aux carottes dont la chair, apprends-je immédiatement, servira à faire une purée, tandis que les épluchures finiront en chips et en gelée et les fanes en pesto. Chez moi, tout ça aurait évidemment filé direct au compost.

C’est donc dans un mortier en bois que je mélange des feuilles de carottes avec des pignons, des amandes, un filet d’huile lin et un peu de parmesan. Pendant que je pilonne sec, du côté du poisson, les choses avancent. Et je remarque que la poubelle de la cuisine est toujours désespérément vide. Tandis que la tête de la bête, ses arêtes et sa queue cuisent dans une sauteuse avec un bouillon aromatique pour en faire un fond qui sera tout à l’heure mélangé avec un peu de crème avant réduction, les filets savamment levés et épilés patientent pour être pochés. Les restes de chair sont eux mixés avec un peu de crème, d'œuf et de piment de Cayenne pour en faire une farce. Et la peau du poisson, glissée entre deux feuilles de papier cuisson, est en train de sécher dans une poêle pour se transformer en chips croustillantes.

Voyant que ça s’annonce plutôt bien, je redouble d’effort au-dessus de mon pesto et termine mon œuvre. A la dégustation, c’est goûteux, bien herbacé. Pour sûr que ce sera parfait pour relever un peu le poisson!

Photo: DR

Fière de ma petite préparation, je m’attelle désormais à la confection de la pâte à crêpe qui n’a de nouveau que l'ajout de chapelure. Après quelques coups de fouet dans la jatte et quelques jetés de poêle parfaitement maîtrisés, et tout de même une crêpe brûlée (certains diront que je suis trop bavarde, moi je dis simplement que le feu était trop fort), je goûte. Chouette, ce petit twist crousti-moelleux dans ma crêpe fait tout son effet.

Devant tous les éléments rassemblés et le fond de la poubelle toujours aussi vide, je me rends compte que la cuisine, c’est drôlement bien et bon quand rien ne se perd et que tout se transforme.


Le pesto de fanes de carottes de Martin Göschel

Photo: DR

Pour 250 grammes de pesto:

  • 30 g de fanes de carottes
  • 20 g d’amandes émondées et torréfiées
  • 20 g de pignons torréfiés
  • 30 g de parmesan râpé
  • 300 mL d’huile de lin
  • Une pincée de fleur de sel

Bien laver les fanes de carottes. Mélanger tous les ingrédients dans un mortier jusqu’à ce que se forme une pâte onctueuse. Assaisonner selon votre goût.


Crêpes avec des restes de pain de Martin Göschel

Photo: DR

Pour une dizaine de crêpes:

  • 100 g de pain sec au levain sans la croûte
  • 100 g de farine
  • 4 œufs bio
  • 300 mL de lait
  • 1 pincée de sel
  • 1 pincée de safran
  • 50 g de beurre

Faire fondre le beurre dans un four micro-ondes. Le verser dans un saladier et ajouter tous les autres ingrédients en fouettant vigoureusement jusqu’à obtention d’une pâte crémeuse. Faire cuire les crêpes sur chaque face jusqu’à ce qu’elles commencent à dorer.

Vous avez trouvé une erreur? Signalez-la