103 000 euros. C’est le prix hallucinant auquel aurait été adjugée l’an dernier, à Alba en Italie, une truffe blanche de 830 grammes. Il faut dire que Tuber magnatum pico est sans doute l’un des produits les plus nobles au monde. Si cette pépite gastronomique fait régulièrement l’objet d’enchères qui dépassent l’entendement, elle n’en demeure pas moins un produit toujours très cher, tout comme sa cousine Tuber melanosporum, également connue sous le nom de truffe noire d’hiver.
Mais pourquoi des prix si élevés pour ce qui n’est a priori qu’un champignon? Tout simplement parce que la truffe est très recherchée, mais aussi très rare. On vous explique tout ça plus en détails, avec Michel De Matteis, Maître d’enseignement à l’École hôtelière de Lausanne (EHL), et grand amateur de truffe.
Symbiose, météo et… coup de bol
«La truffe est certainement le seul produit noble dont la culture n’est pas maîtrisée», explique ce professionnel. «Elle n’est pas abondante et sa récolte est très aléatoire.» C’est d’abord une histoire de symbiose avec un arbre. La truffe est en effet produite par une spore souterraine qui puise le carbone nécessaire à sa croissance dans les racines de certaines espèces, appelés arbres truffiers. La truffe blanche s’épanouit ainsi au pied des noisetiers, tandis que la truffe noire d’hiver interagit principalement avec le chêne.
Mais ce n’est pas tout: «Outre un sol calcaire, il faut aussi les bonnes conditions climatiques, c’est-à-dire des hivers secs et des étés entrecoupés d’orages.» Des paramètres immaîtrisables auxquels on doit encore ajouter les nombreux aléas qui peuvent survenir au cours de la longue période de croissance de la truffe. «Le cycle de vie d’une truffe est de huit mois, uniquement sous terre. Pour comparer, il faut 48 heures pour faire pousser un champignon de Paris dans un milieu favorable, et à peine un mois pour une girolle.»
Autant dire qu’il peut s’en passer des choses avant de pouvoir la récolter, grâce à l’odorat aiguisé d’un chien ou d’un cochon truffier. «Dans une truffière, on estime que l’on ramasse entre 5 et 6 kilos de truffes par hectare.» Un rendement extrêmement faible, qui explique le prix très élevé des espèces prisées pour leurs arômes incomparables.
Il y a truffe et truffe
Car toutes les espèces de truffes ne se valent pas. La truffe blanche d’Alba est la plus chère et la plus recherchée. «C’est un produit d’exception», affirme Michel De Matteis. Elle pousse en Italie, dans la région du Piémont, et se ramasse au mois de novembre. «Sa saison est vraiment très courte, elle ne se conserve que quelques jours et se consomme exclusivement crue.» Un rendez-vous éphémère à ne pas manquer pour les amateurs, et qui explique aussi en partie l’envolée des prix de cette Tuber magnatum pico, «jusqu’à quatre à cinq fois plus chère que la truffe noire d’hiver». Cette dernière est, elle aussi, saisonnière, mais sa période de récolte est un poil plus longue: «On la ramasse de mi-décembre à fin février, principalement en France, en Italie et en Espagne. On en trouve aussi en provenance d’Australie pendant l’hiver austral, donc en été chez nous.»
Noire dehors et blanche dedans, la Tuber aestivum – la truffe noire d’été, également appelée truffe de la Saint-Jean – est bien moins parfumée que ses nobles cousines. «Elle est environ quatre fois moins chère que la truffe noire d’hiver mais n’a vraiment pas beaucoup de goût.»
Le professionnel de l’EHL met par ailleurs en garde contre la truffe importée de Chine, la Tuber brumale: «Visuellement, elle ressemble comme une jumelle à la Tuber melanosporum. Mais elle n’a absolument aucun goût.» Si personne n’est dupe dans l’assiette, il arrive parfois que des importateurs peu scrupuleux en glissent dans des lots de truffes noires d’hiver. On peut aussi en trouver dans certains produits dits «à base de truffe», largement additionnés d’arômes artificiels.
Un must à la croque-au-sel
Vous l’avez compris, pour s’offrir le luxe de manger des «vraies» truffes, mieux vaut donc attendre la saison. Il faut savoir aussi que quelques grammes suffisent pour sublimer un plat. «La truffe noire d’hiver est un petit peu moins chère fin janvier, début février, car c’est à cette période que l’on en ramasse le plus», glisse Michel De Matteis.
Et contrairement à la truffe blanche, elle se conserve plutôt bien. Mais pas n’importe comment: «le froid du congélateur la cuit, et les conserves tuent un peu le goût». Son conseil pour se régaler plus tard dans l’année? Stériliser la truffe dans des petits pots, avec un bouillon léger et un trait d’huile de pépins de raisin.
Cet amoureux de la truffe affirme toutefois qu’elle doit rester un produit d’exception… à consommer pour les grandes occasions. Pour lui, le must est de déguster une belle truffe noire d’hiver à la croque-au-sel. «Toastez une tranche de pain de campagne. Puis coupez la truffe en tranches de 3 à 4 millimètres d’épaisseur et disposez-les sur le pain. Arrosez ensuite d’un filet d’huile d’olive et ajoutez quelques cristaux de fleur de sel. Vous vous régalerez!»