«Occupe-toi de la baiser»
Harcèlement, violences: dans une école hôtelière, des chefs poussent leurs étudiants à la grève

Harcèlement sexuel, propos homophobes, insultes: une promotion entière d'étudiants en management hôtelier de la célèbre école hôtelière Vatel est en grève depuis trois semaines, pour dénoncer «l'inaction de la direction» face au comportement de certains professeurs.
Publié: 18.04.2023 à 14:45 heures
La prestigieuse école hôtelière Vatel voit ses étudiants parisiens faire grève depuis trois semaines.
Photo: DR

Créée il y a 42 ans par l'entrepreneur Alain Sebban et son épouse, la prestigieuse école hôtelière Vatel, qui se présente comme le premier groupe mondial de l'enseignement du management de l'hôtellerie avec 52 écoles dans 32 pays, dont une adresse à Martigny (VS), et un chiffre d'affaires de 90 millions d'euros, se targue de transmettre un «esprit Vatel» alliant «savoir-faire» et «savoir-être» à ses 42'000 diplômés, actifs dans le tourisme et l'hôtellerie.

Mais depuis le 27 mars, la soixantaine d'élèves de troisième année de Bachelor de l'école parisienne sont en grève, refusant d'aller en cours de cuisine, pour dénoncer le comportement de certains professeurs du restaurant d'application ouvert au public, où ils apprennent les métiers de la cuisine et de la salle.

Parmi eux, Erika* décrit à l'AFP le choc vécu en première année: «On nous criait dessus tous les jours, on me disait 'Tu n'es qu'une merde'. Le matin, je pleurais, j'en vomissais le soir tellement j'étais angoissée.»

Des «caresses» aux brûlures

Olga*, elle, se souvient, dès sa première semaine à Vatel Paris, à l'automne 2020, «des mains derrière le dos, des caresses sur les bras» du chef pâtissier. Elle a alerté la direction sur les «gestes inappropriés avec les élèves» de ce professeur, mais celle-ci «n'a jamais donné suite», raconte Olga.

Toutes deux disent avoir, par la suite, «souvent récupéré des filles de première année en pleurs, qui n'en pouvaient plus», cibles de «propos obscènes chuchotés à l'oreille» et de «coups de spatule sur les fesses» de la part du chef pâtissier. Axelle* se souvient qu'il lui a souvent «saisi le cou» avec force, l'interrogeant sur «ce qu'(elle) avait fait avec (son) petit ami pendant le week-end».

Deux autres chefs, celui du service du midi et celui du soir, ont un «comportement violent», rapportent les élèves interrogés par l'AFP. «Ils perdent beaucoup leur sang-froid, ils insultent les élèves, leur disent qu'ils ne servent à rien, qu'ils ne réussiront jamais», résume Axelle.

Un jour, l'un d'eux «pose sa casserole brûlante sur ma main. Je le regarde et je lui dis 'tu m'as littéralement brûlée'. Il me fait 'Oui' (...). Après, j'ai fait la gueule et il a fini par s'excuser, dit-elle. Et je suis loin d'être la seule à avoir été ainsi brûlée.»

«T'es qu'un gros pédé»

Simon* décrit une «atmosphère sous pression, malsaine». Le chef pâtissier «lance des saladiers, des fouets sur nous, un jour, il m'a dit 'T'es qu'un gros pédé, tu ne feras rien dans le milieu'». Il a dit «à un élève, resté seul avec une camarade: 'Occupe-toi de la baiser, je reviens dans dix minutes'». Simon soupire: «Pour le prix qu'on paie (ndlr: 11'400 euros l'année), ce n'est pas l'école dont on rêvait.»

Une ancienne élève, diplômée en 2020, a aussi relaté à l'AFP les «propos déplacés» d'un enseignant «chef de salle», dont elle dit n'avoir parlé qu'à quelques camarades: «Il me disait à l'oreille: 'Tu m'excites, j'ai envie de toi, tu es sauvage'.»

«Les conditions de travail évoluent (ndlr: positivement) dans la restauration, et nous, on se retrouve dans une école complètement à la traîne…», déplore Axelle. Tous disent avoir découvert avec soulagement, lors de stages, des établissements où l'on travaille «dans le respect».

Lettre sans suite

Selon une enquête du site d'investigation Mediacités, dès 2020, 141 étudiants ont signé une tribune adressée au fondateur de Vatel, Alain Sebban, faisant état de «dysfonctionnements (…) parmi lesquels le 'mépris' et le 'manque de respect' du personnel encadrant». Transmise au directeur général de l'école parisienne, son fils Dov Sebban, cette lettre est restée sans réponse.

Sollicitée par l'AFP, la direction a affirmé que la tribune de «102 étudiants» datait du «29 mars 2019» et ne faisait état que d'«un manque de considération de la part de l'administration, des sanctions (ndlr: jugées par les élèves) disproportionnés, injustifiées», notamment.

Au début de la grève, Dov Sebban a affirmé dans un courrier aux élèves, daté du 27 mars et transmis à l'AFP, avoir pour la première fois en mai 2022 été «alerté par des étudiants accusant deux enseignants de propos et gestes dégradants» et avoir «pris des mesures à leur encontre». Ils n'ont depuis «pas fait l'objet de nouvelle alerte en interne», assure-t-il. Ces deux enseignants, «un chef de cuisine et un chef pâtissier», ont «fait l'objet de sanctions disciplinaires consignées dans leur dossier», qui doivent rester confidentielles, a affirmé la direction à l'AFP.

Les étudiants exigent des sanctions

La grève se poursuivant, M. Sebban a dans un deuxième courrier, daté du 5 avril, admis des «faits incontestablement inacceptables» et annoncé faire appel à «des consultants extérieurs» pour mettre en place un «dispositif d'alerte et de prise en charge d'éventuels risques psycho-sociaux». Il sera «opérationnel» en «septembre 2023», a précisé la direction.

Face au maintien en place des professeurs par la direction, les élèves ont poursuivi leur grève pour une troisième semaine, celle du 10 avril, affirmant dans une lettre que «la violence n'a pas sa place dans une école, ni dans notre cœur de métier».

Interrogé par l'AFP, Jean-Virgile Crance, président du syndicat patronal GNC (Groupement national français des chaînes hôtelières) estime que «si cette situation est avérée, elle est intolérable». «Tous ceux qui œuvrent dans la formation des jeunes recrues de nos métiers se doivent d'être exemplaires», dit-il.

À la tête du syndicat patronal français des indépendants de l'hôtellerie-restauration (GNI), Didier Chenet «condamne avec la plus grande fermeté ce genre de comportements». Le GNI est propriétaire du centre de formation Médéric où des référents ont été nommés, dit-il, pour traiter «toute forme de discrimination et de harcèlement». Le chef Thierry Marx, président de l'Umih, principal syndicat du secteur, n'a pas répondu aux sollicitations de l'AFP.

* Prénoms d'emprunt

(AFP)

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