Il y a quelques semaines, Alexandra Vialettes, la propriétaire de la brasserie Max située dans le quartier des Eaux-Vives à Genève, était en vacances à Minorque. Attablée dans un petit restaurant, elle a eu un «coup de foudre» gustatif pour une sorte de tartare de courgettes aussi savoureux que rafraîchissant. Alexandra a lâché sa fourchette et sorti son portable. Dans la fonction notes de son téléphone, elle tient une longue liste de plats et d’ingrédients croisés au fil de ses sorties et de ses voyages.
De retour dans le restaurant de la rue du 31 décembre, la jeune femme a immédiatement partagé sa trouvaille avec Yohan Castanet, le chef cuisinier qui officie chez Max depuis l’ouverture. En quelques mots, elle lui a décrit le plat et les goûts ressentis. Il était question de courgettes, donc, de fraîcheur, mais aussi de contrastes gustatifs. Yohan, qui la connaît bien et sait composer un plat à partir de deux indices, s’est aussitôt mis à l’ouvrage. Pour transformer les courgettes de Minorque en plat bien de chez nous, Yohan a mis sa patte et pensé à associer cet assemblage estival avec… de la raclette.
De Minorque aux Eaux-Vives
Résultat, depuis quelques jours, on peut se régaler d’un mariage de «courgettes en mandoline, raclette, menthe poivrée, huile de persil et caviar de courgette». Une réussite! «Alexandra et moi sommes amis depuis des années et on élabore les cartes à deux, explique Yohan. C’est un échange. On est des épicuriens: on aime sortir et s’inspirer de ce qui se fait ailleurs tout en y ajoutant une touche personnelle.» Alexandra et Yohan vont au restaurant deux fois par mois pour nourrir leur curiosité et piocher des idées en vue de leurs réunions créatives.
Yohan Castanet a beau avoir 40 ans et une solide expérience en cuisine, il ne connaît pas tous les ingrédients, ni toutes les associations possibles. Et c’est justement ça qui lui plait.
«Nos fournisseurs nous présentent souvent des produits inédits, poursuit le chef cuisinier. Récemment, on m’a présenté le gomadaré, une crème au sésame, et le soba cha, sarrasin torréfié que j’ai essayé d’utiliser dans un tataki de thon. Résultat: ça marche très bien.»
«En cuisine, tout a déjà été un peu fait»
Marie Robert, la célèbre cheffe du Café suisse à Bex, est, elle aussi, inspirée par les suggestions de certains fournisseurs. Dernièrement, on lui a vanté les mérites du safran du Valais qu’elle a incorporé dans un beurre blanc. Marie voit l’inspiration comme un muscle à entretenir. «Le pire serait de faire toujours pareil, souligne-t-elle. Alors je change très souvent. Je fixe un thème – en ce moment le Valais et bientôt le Tessin – je choisis la déco et je m'astreins à penser à des plats en partant des ingrédients.»
Elle a beau vouloir muscler sa créativité, la jeune femme n’est pas du genre à prendre des notes, ni à anticiper les idées de menus. «Je donne tout quand je suis au pied du mur et j’aime le défi de devoir créer des recettes», confie-t-elle.
A l’instar d’Alexandra et Yohan, Marie Robert fonctionne aussi en pingpong avec son associé, Arnaud Gorse. Un bon moyen de lutter contre les pannes d’inspiration. En revanche, elle assure ne pas avoir besoin de regarder ce que font les voisins pour stimuler son palais. «Quand je mange chez les autres, c’est surtout pour passer un bon moment, commente-t-elle. J’ai l’impression que ma cuisine a gagné en maturité ces derniers temps donc je ne sens pas le besoin d’aller voir ce qui se fait ailleurs. La passion me sert de moteur. Mais soyons honnête, je sais bien qu’en cuisine, tout a déjà été un peu fait.»
Des idées dans les livres
La cheffe avoue sans détours qu’elle ne consulte pas non plus les ouvrages culinaires qui fleurissent dans les rayons des librairies. «Quand j’ai débuté, il y a quinze ans, j’avais besoin de consulter les bouquins, mais plus maintenant», détaille la cheffe.
Yohan Castanet, lui, feuillette régulièrement des magazines de cuisine comme «180 degrés», une revue consacrée à la culture food. Il aime aussi se plonger dans les ouvrages des chefs qui ornent sa bibliothèque. Sur son étagère, on peut lire des noms aussi prestigieux que ceux de Pierre Gagnaire, Régis Marcon ou Alain Ducasse. « Dès que j’ai une pâte sablée à faire, je jette toujours un œil à la recette de Ducasse», confie Yohan. Mais le livre qu’il utilise le plus au quotidien, c’est l’un de ceux rédigés par le prolifique chef anglo-israelien Yotam Ottolenghi. «C’est un cuisinier que j’affectionne tout particulièrement et je pioche souvent des idées chez lui.»
Cet été, Yohan Castanet ira en vacances en Grèce. Il ne connaît pas bien les subtilités de cette cuisine méditerranéenne, mais sait d’avance qu’il va être inspiré par les assiettes servies. Il a d’ailleurs bien l'intention de prendre des notes pour enrichir ses futures discussions avec Alexandra lors de son retour. Après Minorque, la future carte de Max risque d’avoir des influences venues de la mer Egée.