Le bœuf wagyu, vous en avez déjà entendu parler. Ou tout du moins du bœuf de Kobe. Peut-être en avez-vous vu de vos yeux envieux à la boucherie, avant de vous raviser en découvrant le prix. Puisqu'il serait regrettable de s'arrêter là sans en savoir plus sur ce type de viande, j'ai posé quelques questions à deux experts. Le premier s'appelle Iris Saliu, il est directeur de la Boucherie Les Landes à Sion, fondateur et manager d'Affinitis, société qui sélectionne et importe des viandes en Suisse. Le second se nomme Romain Losey, responsable du développement et de l'innovation à La bouche qui rit, deux boucheries à Lausanne.
Qu'est-ce que le bœuf wagyu?
Il y a beaucoup de malentendus, de mythes et de légendes urbaines sur le bœuf wagyu. Le terme wagyu signifie simplement «vache du Japon» en langue japonaise. Sous cette dénomination se cachent plusieurs races bovines, la principale étant la kuroge washu, ou japonaise noire, qui représente 95% du cheptel. Autrement résumé, lorsque l'on parle de bœuf wagyu, on parle simplement d'une race japonaise. Mais attention, cela ne dit rien sur son origine: elle peut venir du Japon, ou d'un autre pays.
D'où vient le bœuf wagyu?
Les choses se compliquent un peu. Première subtilité, contrairement à ce que clame leur nom, ces vaches ne sont historiquement pas originaires du Japon, mais de Chine, depuis laquelle elles ont été importées il y a plus de 2300 ans. On ne va pas pinailler: elles n'existent plus en Chine de nos jours.
Attention, deuxième petite finesse: ce n'est pas parce qu'elles s'appellent «vaches du Japon» qu'on ne trouve ces races qu'au Japon. On peut très bien en élever ailleurs, tout comme on trouve en Suisse de la Blonde d'Aquitaine ou de la Limousine. Vous suivez toujours?
Euh, donc on peut trouver du wagyu suisse?
Oui, plusieurs pays produisent de la viande bœuf wagyu. L'exportation d'animaux vivants étant interdite depuis le Japon, les éleveurs étrangers doivent acheter des embryons et les implanter dans d'autres races.
Les meilleurs bœufs wagyu, ce sont les pur-sang japonais. De manière générale, produire du bon bœuf wagyu à l'étranger, ce n'est pas facile. Les meilleurs à ce petit jeu, ce sont les Australiens qui produisent de la viande de très haute qualité que certains estiment même parfois supérieure à celle du Japon.
Oui, mais la viande, à quoi elle ressemble?
La chair de ces animaux est réputée pour un taux de graisse intramusculaire supérieur à la moyenne. Les viandes sont incroyablement persillées, fondantes comme du beurre, résultat d'une génétique particulière et de modes d'élevage stricts accordant une grande place au bien-être animal (du moins au Japon).
L'alimentation des bêtes est strictement contrôlée. On ne connaît pas exactement sa composition, mais on sait qu'elles sont nourries avec du riz, des céréales, des algues et bien d'autres choses. Le but est d'avoir des animaux en meilleure santé et de les stresser le moins possible avant l'abattage. Ils sont par ailleurs abattus plus tard que les autres races.
Et le bœuf de Kobe alors?
Le bœuf de Kobe, dont le nom est connu du public, est une appellation. C'est un peu comme un AOP qui protège le fromage Raclette du Valais et le différencie des produits industriels ou étrangers. Un bœuf wagyu peut s'appeler bœuf de Kobe s'il provient de la préfecture de Hyōgo, au Japon, où se trouve Kobe. Autrement résumé, tous les bœufs de Kobe sont des bœufs wagyu, tandis que tous les bœufs wagyu ne sont pas des bœufs de Kobe!
Cette viande de Kobe est réputée comme l'une des meilleures du monde, la plus persillée, la plus fondante… et aussi la plus chère: elle se négocie jusqu'à 1000 francs le kilo, selon les morceaux.
Comme avec beaucoup de choses rares et chères, il y a des mythes qui accompagnent le bœuf de Kobe. Vous avez sans doute déjà entendu des histoires au sujet de l'élevage délirant de ces vaches: massages quotidiens au saké, diffusion de musique classique ou encore consommation de bière, tout ceci dans un but de relaxation ou pour faire pénétrer davantage de gras dans leurs muscles. Nos deux experts sollicités balaient ces légendes. Quelques rares éleveurs japonais disent bien s'adonner à ce genre de pratique, mais elles n'ont aucune utilité démontrée.
Donc il y a wagyu et wagyu?
Tous les wagyu ne se valent pas. Il existe même un système international de notation pour les classer selon divers critères de qualité, de marbrage ou de couleur, etc.
Grossièrement résumé, les viandes japonaises sont classées de A1 à A5 (la meilleure qualité) et le marbrage sur une échelle de 0 à 12 (la chair la plus persillée). Donc si on vous vend une viande A5 avec un score BMS (le système de classement du marbrage) de 12, vous êtes face à la meilleure qualité possible, bon appétit! Ces notes sont établies par un organisme officiel au Japon. À l'étranger, chaque pays peut utiliser son propre système, mais on retrouve souvent l'échelle BMS.
En règle générale, le wagyu japonais est meilleur, car les animaux sont des pur-sang. Mais comme évoqué ci-dessus, le wagyu australien est parfois du même niveau, si ce n'est encore meilleur. Quant aux autres origines, elles ne sont peut-être pas à ces niveaux exceptionnels, mais elles restent des viandes de très haute qualité, bien meilleures que les atrocités industrielles qu'on mange tous.
Et sinon, ça a quel goût cette bidoche?
Le bœuf wagyu fond dans la bouche, un peu comme du beurre, avec des touches de noix de coco et d'autres notes végétales, résolument umami. Puisque le gras est véritablement intramusculaire, présent dans de nombreuses minuscules fines poches qui s'immiscent entre les fibres, il fond lors de la cuisson, si bien que la viande reste toujours juteuse et très tendre. À noter que la graisse du bœuf wagyu, riche en acides gras insaturés, est réputée pour être plus saine que les autres.
Oui, mais je suis nul en cuisine, je vais rater la cuisson!
Contrairement à ce que l'on peut croire, cuire du bœuf wagyu est très simple. Il suffit de la tailler en tranches fines et de les saisir dans une poêle en fonte bien chaude (pas besoin d'ajouter de la matière grasse, vous l'aurez compris), pendant 1 à 2 minutes (selon l'épaisseur) de chaque côté, et de la laisser reposer pendant cette même durée.
Cette viande étant extrêmement riche, on en mange généralement moins, de 50 à 100 grammes par portion. Certains préconisent une cuisson «bleu chaud» pour préserver le gras et ne pas le brûler. D'autres préfèrent cuire à point pour fondre intégralement les lipides. À vous de voir.
Quelles pièces demander à son boucher?
En général, les pièces les plus prisées sont les morceaux premium habituels: entrecôte, filet, etc. On ne peut pas importer du Japon des morceaux de viande à l'os: impossible donc de trouver des T-bones ou des côtes de bœuf de wagyu japonais. Pour cela, il faut se tourner vers les wagyu d'autres pays.
En général, les pièces les moins nobles sont destinées au marché japonais. Mais on trouve aussi parfois des caisses de wagyu contenant divers morceaux: si c'est votre cas, n'hésitez pas à les cuisiner comme vous le feriez pour un bœuf classique.
Bon allez, achevez-moi, ça coûte combien?
C'est sûr, c'est la partie la moins marrante. Une entrecôte de wagyu suisse ou australien oscille autour de 200 francs le kilo. Comptez pas loin du double pour du japonais, et encore plus pour du Kobe.
Ces prix ne sont pas pour autant pratiqués pour payer une Ferrari à votre boucher. Le processus d'élevage plus long et plus rigoureux, le transport depuis les contrées lointaines, les taxes d'importation suisses très élevées, ainsi que l'offre et la demande (sur-demande des pièces à griller, peu nombreuses sur chaque animal), font grimper la facture - et le bilan carbone.
Oui, c'est très cher, non c'est pas très écolo, mais c'est un produit d'exception, à réserver pour les grandes occasions, ou à déguster juste une fois dans sa vie.