Lorsque je retrouve Grace Montse pour notre rendez-vous, elle m’attend attablée dans un café Place du Bourg de Four. Elle commande une tisane, mais pas de douceur: «Je préfère le salé», dit-elle. Surprenant, pour une pâtissière! Cette Genevoise aux origines congolaises a créé, en 2020, Gracefully Cake, un site internet sur lequel on peut commander ses créations pâtissières ou s’inscrire à ses ateliers chocolat, qu’elle dispense aux particuliers et aux entreprises.
Elle y propose surtout des gâteaux au format «familial» à partager et d'un esthétisme aérien, dont un superbe baba aux fruits exotiques, un entremets fruits rouges et chocolat blanc aux délicates lignes torsadées, ou encore une originale tarte aux agrumes décorée avec les suprêmes et les zestes. Sa petite affaire se porte bien et commence à se faire connaître du grand public, comme lors du Geneva Street Food Festival en juin, durant lequel elle proposait dans son stand une ribambelle de tartelettes de saison.
De la comm' à la pâtisserie
Rien ne prédestinait pourtant Grace à travailler en cuisine. «Comme souvent pour les femmes dans les cultures africaines, j’ai passé énormément de temps en cuisine étant enfant. Mais pour moi, c’était une corvée.» Elle dit ne plus se rappeler d’où lui est venue l’envie de faire de la pâtisserie. Toujours est-il qu’à l’adolescence, lorsqu’elle fait part de son désir de se lancer dans un apprentissage en pâtisserie, sa famille refuse.
Elle se dirige alors vers une école de com’ qui la mène en stage dans le service des ressources humaines de La Réserve, un hôtel genevois. C'est le déclic. À 18 ans et émancipée des projections familiales, Grace se lance finalement dans la pâtisserie. Elle décroche une place d’apprentie dans la brigade de Philippe Durandeau, alors chef exécutif de La Réserve. Elle y apprend le métier et sa discipline, se spécialise à Annecy auprès d’un maître chocolatier avant de se rendre, après ses trois années d'apprentissage, dans de grands hôtels à Lucerne puis Blausee.
Après ces quelques années de travail à un rythme effréné, vient le temps de la remise en question: «J’étais la tête dans le guidon, je fonçais. J’ai relevé la tête et j’ai constaté que dans ces cuisines de palaces, il n’y avait aucune femme de plus de 50 ans. Je me suis alors questionnée sur ma place dans le monde de la pâtisserie.»
La pâtisserie, un univers d'hommes blancs
Être une femme dans les cuisines des palaces n'a rien d'une sinécure. Surtout quand on est d'origine africaine. Mais Grace répond sans détour: «Je suis une femme noire évidemment, les gens voient ça de moi en premier, mais pour moi cela n’a jamais été un sujet et surtout, cela ne m’a jamais freinée. Mais je vois bien qu'il n'y a pas ou peu de personnes noires à des postes de chefs dans les cuisines de palaces ou dans les pâtisseries suisses. Cela reste – encore aujourd’hui – un univers d’hommes blancs.
La jeune femme abandonne alors un temps la pâtisserie et se retrouve même en stage à la Fondation de la Haute Horlogerie. Dans ce nouvel univers professionnel, elle découvre un meilleur équilibre. Mais il y a eu le covid.
Le monde s'étant arrêté, Grace doit dire adieu à ses possibilités d’évolution. Naît alors l’idée de son site internet en 2020, sur les conseils de ses proches. Elle met ainsi en ligne Gracefully Cake: «J’y propose de la pâtisserie fine, raffinée et créative, cuisinée avec des produits hyper qualitatifs et de saison et le plus possible en zéro déchet. Ce site c’est moi, c’est mon cœur».
Fin 2022, elle crée sa SARL: «Depuis je n’ai plus de vie!» s'esclaffe-t-elle. Mais elle convient que c’est aussi là le prix de l’indépendance. Un chemin plus solitaire, plus en accord avec sa personnalité, qu’elle privilégie aujourd’hui. Bien qu’elle reconnaisse que l'hôtellerie de luxe offre des moyens créatifs appréciables, elle leur préfère sa liberté de choix et de décision.
En plus du site marchand, Grace poursuit désormais son chemin. Elle a lancé des brunchs boxes gourmandes et travaille aussi beaucoup en «B2B» pour Jaeger Lecoultre notamment.
A l'avenir, elle aimerait «avoir une boutique avec un laboratoire ouvert pour que les gens voient le travail derrière la passion» car, dit-elle, sa plus belle récompense ce sont «les retours positifs et la satisfaction de mes clients qui reviennent et se laissent séduire par mes créations».