«L’huile: +20%, les pois chiches:+ 5%, les épices pareil… Absolument tout ce qui nous sert à cuisiner a augmenté et ça va continuer.» Les ingrédients du houmous prennent cher. Dans sa cuisine, Ulas Yilmaz, copropriétaire avec sa mère du restaurant Chiche ou pas Chiche à Genève, fait ses comptes. Depuis quelques mois, il assiste impuissant à la montée des prix des matières premières.
Son fournisseur l’a prévenu: les tarifs fixés l’an dernier vont progresser tous les trois mois pour absorber cette hausse. À l’inverse, la courbe des marges dégagées par Ulas, elle, est partie à la baisse. Rien de catastrophique, heureusement, car le restaurant qui propose une cuisine du Levant continue d’attirer les gourmands, mais assez préoccupant pour que le jeune homme, qui refuse de réduire les quantités pour continuer à proposer des assiettes généreuses, ait décidé de modifier certaines de ses habitudes.
Sa première décision: changer de recette. Le houmous avec un max d’huile, c’est terminé. Désormais, l’équipe concocte sa purée à partir d’une réduction de pois chiche. «La texture a un peu évolué, mais ça nous pousse à évoluer, à nous réinventer», relativise le jeune homme. Certains plats comme la chakchouka aux aubergines risquent de ne pas survivre à cet épisode de chasse aux coûts. Le kilo d’aubergines est passé de 2 à 4,50 francs, se désole Ulas. Ce n’est plus tenable pour nous, donc on va certainement l’enlever ou bien la faire en supplément.»
Adieu croissants, bonjour granola
Arthur Stehli, le copropriétaire du café Coin-Coin du boulevard Carl-Vogt à Genève et du bar à vin Street Cellar à Lausanne, est lui aussi en train de concocter une nouvelle carte pour la fin du mois de septembre. Il scanne ses propositions pour le petit déjeuner: «La viennoiserie, ça coûte très cher, explique-t-il. Si je ne vends pas mes vingt croissants, ils sont perdus et c’est une perte sèche que je ne peux plus me permettre. On va proposer d’autres choses comme le granola qui se garde plus longtemps et dont je peux mieux gérer le coût.»
La carte va changer de produits mais aussi de tarifs. «On va augmenter certains prix, mais en essayant de rester compétitif, poursuit le jeune homme. Le café, par exemple, a beaucoup augmenté, mais on veut absolument rester sous les 4 francs.» Même les gobelets en carton pour les boissons à emporter valent 15% plus cher.
Le petit noir sera donc à 3,80 francs cet automne. Cette légère hausse ne le ravit pas forcément, mais elle était indispensable. «Notre café a beau être torréfié à Genève, les grains viennent d’Amérique Latine et nos fournisseurs ne peuvent pas faire autrement que de répercuter leurs coûts sur les prix. On n’avait pas le choix, on a suivi.» Pour conserver ses marges, il compte jouer sur les prix de produits moins emblématiques et pour lesquels la clientèle acceptera plus facilement de payer davantage comme les alcools artisanaux ou le vin. Arthur a quand même remarqué que le ticket moyen baissait légèrement et que les clients faisaient plus attention à leurs dépenses.
Chez Chiche, Ulas Yilmaz a carrément choisi de revoir ses méthodes de production. «On traque les quantités cuisinées et le gaspillage, détaille-t-il. Et on travaille plus efficacement. Au lieu de mettre trois jours à tout préparer, on le concentre sur deux jours.» Vingt-quatre heures de mijotage en moins, c’est autant d’énergie économisée.
La douloureuse électrique
Car l’autre bête noire des restaurateurs et cafetiers de Suisse (et du reste du monde), c’est la facture d’électricité. «C’est affreux, je déteste ça, confesse Arthur Stehli en riant jaune. Ces derniers mois, ça a augmenté d’un tiers et franchement, je n’ai pas beaucoup de marge de manœuvre.» Difficile de baisser sa consommation sans perturber les habitudes de la clientèle ni attenter à la convivialité des lieux. «Je ne vais pas interdire aux gens de brancher leurs ordinateurs ou leurs téléphones, dit-il. Ma machine à café est très gourmande en énergie, mais je ne peux pas la débrancher le soir sinon elle sera pleine de calcaire. Et à 4000 francs la machine, je ne peux pas me permettre d’en changer!»
Comme Jon Snow, il redoute l’hiver qui arrive. Chaque mois, pour son établissement lausannois, il doit déjà payer 1000 francs d'électricité par mois. Il ose à peine imaginer combien il devrait sortir en cas de vague de froid. Parce que clairement, il n’est pas question pour lui de couper le chauffage dans ses établissements et de demander aux habitués de garder leurs moufles à l’intérieur. Ailleurs en Suisse, certains restaurateurs ont choisi de facturer un supplément aux clients.
Trop jeunes pour se laisser abattre
Face à ces difficultés, les deux jeunes restaurateurs refusent de se laisser abattre ou de se plaindre. Ils sont trop jeunes pour ça! «Au début, on se demandait si c’était lié à nos produits, mais on s’est vite rendu compte que tout le monde était touché, confie Ulas Yilmaz. À part nous challenger nous-mêmes, on ne peut pas faire grand-chose de plus, ça nous dépasse».
S’ils ont effectivement des idées pour s’en sortir, ils se disent qu’un peu de solidarité et d’entraide du secteur ne ferait pas de mal. «On pourrait mutualiser les commandes ou organiser des livraisons à vélo pour réduire certains coûts, lance Arthur. Ou bien se cotiser pour installer des panneaux solaires communs». Pour le moment, le jeune homme qui fourmille d’idées n’a pas rencontré d’oreilles attentives du côté de GastroSuisse. Le jeune patron a aussi noté dans ses carnets prévisionnels une nouvelle dépense: l’augmentation de salaire de ses 4 salariés. «Certains ne vivent pas à Genève et ont des frais d’essence et déplacement, c’est essentiel de s’aligner pour les aider à faire face à l’inflation», souligne-t-il. C’est aussi un moyen de lutter contre l’autre immense problème auquel les restaurateurs sont confrontés: la pénurie de main-d'œuvre.