Ne pas pouvoir boire une goutte d’alcool lorsqu’on s’apprête à écrire un livre sur l’absinthe, c’est plutôt ballot! C’est pourtant ce qui est arrivé à Tania Brasseur. Sous traitement médicamenteux, elle a été condamnée pour un temps à l’abstinence au moment d’entamer son enquête sur cet alcool au goût amer et à la réputation sulfureuse. Qu’à cela ne tienne… Au-delà des rituels de sa dégustation, cette distillation de plantes séculaire, longtemps produite clandestinement, recèle de bien nombreux secrets qui ne demandent qu’à être dévoilés.
Membre du comité du Patrimoine culinaire suisse, cheffe de projet chez Slowfood et collaboratrice occasionnelle de Blick, l’autrice d’«Absinthe, Voyage au Pays de la Fée Verte», récemment paru aux éditions Helvetiq, a commencé aux racines de l'histoire, celles de la plante l’Artemisia absinthium.
Tel est le nom scientifique de la «grande absinthe», espèce connue pour ses multiples vertus thérapeutiques avant même de servir de base à cet alcool qui, auréolé de sa mauvaise réputation a été interdit pendant plus de 90 ans. Botanique, fabrication, portraits de distillateurs et distillatrices, recettes de cuisine ou histoire de son interdiction et de ses amateurs, ce passionnant bouquin écrit à la première personne, et ses jolies photos, nous conduit aux confins du Val-de-Travers, de ses forêts profondes et de ses températures glaciales, pour lever un pan de voile sur l’absinthe et ses mystères. Avant de se plonger dans sa lecture, petit quizz, histoire de se mettre l’Absinthe à la bouche.
L'absinthe, c’est une histoire d’hommes
FAUX: Cultivatrices d’absinthe ou distillatrices, elles sont aujourd’hui très nombreuses à consacrer leur temps à l’élaboration de la Fée Verte, un nom qui fleure aussi bon la féminité. Et c’est une femme, l’une de ces guérisseuses qui faisaient jadis office de médecin dans les campagnes reculées, qui aurait créé la première recette d’Absinthe, obtenue par macération puis distillation à la fin du 18e siècle. Dame Henriod, c’est son nom, proposait cette potion magique produite par ses soins pour soigner les maux du corps. Une boisson qui a vite séduit son public au-delà de ses qualités médicinales puisqu’en 1797, devant son succès, un certain major Daniel-Henri Dubied rachetait la formule pour la commercialiser.
Les bouteilles d’absinthe poussent dans la forêt
VRAI: Si les fées, comme tout le monde le sait, se cachent en général dans les racines des arbres à proximité des ruisseaux, les bouteilles d’absinthe, elles, se nichent dans des caches secrètes près des fontaines. En effet, pendant la prohibition de cet alcool, ses amateurs Vallonniers avaient l’habitude de se retrouver dans les bois des environs de Môtiers pour déguster leur breuvage préféré, alors remisé dans les racines noueuses de quelques arbres s’élançant de préférence à proximité d’un point d’eau fraîche. Une tirelire permettait au consommateur de laisser sa contribution à ce petit coup clandestin. Une tradition qui perdure puisque subsistent encore des petites caches de ce type sur le Sentier de l’Absinthe.
Absinthe et pastis, c’est kif-kif
FAUX: Parce que les deux boissons ont la particularité de se troubler au contact de l’eau et d’avoir un goût anisé, on associe souvent la fée verte à l’apéritif préféré des Marseillais. Or, le pastis, qui ne contient pas d’absinthe, est une aromatisation d’alcool obtenue par macération et distillation de diverses plantes quand l’absinthe est, elle, obtenue par seule distillation. Autre différence majeure énoncée en guise d’avertissement dans le livre de Tania: il est totalement hors de question de mettre des glaçons sans son verre de Fée verte.
L’absinthe n’est jamais de la couleur de Shrek
VRAI: Si votre bouteille d’absinthe est du genre vert fluo, attention danger, elle doit contenir de nombreux colorants. En effet, en Suisse, l’absinthe traditionnelle est composée des plantes suivantes: Grande et petite absinthes, anis vert, fenouil, hysope, mélisse et menthe. Auxquelles peuvent être ajoutées d’autres plantes comme la réglisse ou la badiane selon le goût des distillateurs.
L’absinthe rend fou
VRAI et FAUX: C’est à l’une de ses molécules, la thuyone, que l’on doit la mauvaise réputation de cet alcool. Identifié en 1900 par un chimiste allemand, cette substance contenue dans l’huile essentielle d’absinthe, comme dans celle du thuya, a, à de très fortes doses, des effets neurotoxiques et provoque convulsions et hallucinations. Mais pas de panique, selon les scientifiques, une personne de 70 kilos devrait avaler 70 litres d’absinthe pure pour être en danger de mort. Autant dire que le coma éthylique aurait déjà fait son œuvre bien avant. L’absinthe a surtout pâti de la lutte antialcoolisme et du lobby du vin qui cherchaient à l’éliminer. Depuis sa libéralisation en Suisse en 2005, le taux de thuyone est cependant limité à 35 milligrammes par litre.
«Absinthe, Voyage au Pays de la Fée Verte»
Helvetiq
224 pp.
39 chf