Avez-vous déjà eu peur que votre estomac ne tienne pas le coup après avoir fait bombance? Est-il vraiment possible de se goinfrer au point de le faire éclater? Pour vous rassurer avant les agapes de cette fin d’année, on a posé la question au professeur Jean-Louis Frossard, médecin-chef du Service de gastro-entérologie des Hôpitaux universitaires de Genève.
Pour faire simple, on pourrait être tenté de comparer l’estomac à un ballon qui se gonfle et se dégonfle selon qu’on le remplit ou qu’on le vide. Constitué de plusieurs couches de muscles, cet organe essentiel à la digestion peut en effet passer d’un volume de quelques décilitres à vide, à près de 4 litres après un repas très copieux chez des individus habitués à manger beaucoup.
«Naturellement, nous n’avons pas tous le même estomac, et nous ne sommes pas non plus égaux face au sentiment de satiété», nuance le spécialiste. On en profite au passage pour tordre le coup à quelques idées reçues. Non, une personne obèse ou en surpoids n’a pas un estomac plus gros que les autres! «Souvent, ces personnes ont une plénitude plus rapide, car leur estomac a moins de place pour se dilater, à cause de la présence de graisse abdominale.» De même, il est faux d’affirmer que la taille de l’estomac diminue au bout de quelques jours d’un régime restrictif. «Un nouveau système métabolique se met en route, et c’est le cerveau qui s’habitue.»
Le cerveau… nous y voilà. Car notre estomac n’est pas juste un ballon; il communique en effet en permanence avec notre tour de contrôle, qui veille notamment à actionner le freinage d’urgence pour éviter le crash.
Remplissage, vidange et trop-plein
Contrairement à un ballon, la dilation de l’estomac ne dépend ainsi pas uniquement de la quantité de liquide ou de nourriture ingérée. Cette expansion est d’ailleurs déclenchée par le simple fait de voir, ou même de penser à de la nourriture. «La stimulation du nerf vague conduit l’estomac à se distendre légèrement par anticipation, avant même de recevoir les aliments», précise le professeur Frossard. D’autres réflexes induisent également une augmentation des sécrétions digestives. Voilà pourquoi on «salive d’avance» devant un plat appétissant! Une fois avalée, la nourriture descend dans l’œsophage pour rejoindre l’estomac, où elle est malaxée et broyée pendant plusieurs heures. Plus on mange, plus il se dilate et plus son volume augmente, jusqu’à ce que le bol alimentaire passe à l’étape suivante de la digestion.
L’étape suivante, c’est le duodénum, l’antichambre de l’intestin. Pour y entrer, il faut franchir le pylore, une sorte de clapet qui ne laisse passer que de petites quantités de bol alimentaire à la fois. Pas besoin de faire un dessin pour comprendre que si l’on continue de remplir massivement d’un côté sans laisser assez de temps pour vidanger progressivement de l’autre, on risque à coup sûr le trop-plein. «L’estomac ne peut évidemment pas se dilater à l’infini, mais tout est parfaitement régulé par des systèmes hormonaux et par des signaux neurologiques», précise le gastro-entérologue. Lorsque l’on a suffisamment mangé, l’estomac envoie ainsi un signal de satiété à notre cerveau pour l’informer qu’il est temps de reposer la fourchette. «Si l’on sait reconnaître ce message et que l’on en tient compte, alors on ne risque pas de manger trop», résume-t-il.
Retour à l’envoyeur
Mais pour des raisons que l’on ne sait pas toujours expliquer médicalement, ces mécanismes sont parfois perturbés par un dysfonctionnement d’origine physiologique. Certains comportements sont également susceptibles de brouiller le message. Quand on mange trop vite, notre estomac tarde ainsi à faire savoir à notre cerveau que nous sommes rassasiés. Idem si l’on n’est pas attentif à ce que l’on avale (lors un repas pris à la va-vite devant l’ordinateur, par exemple): il sera également difficile d’être réceptif à la sensation de satiété. Et puis il y a la gourmandise, l’ambiance festive, et toutes ces occasions qui font que l’on s’en met parfois plein la panse.
Trêve de suspense. Quand bien même on déciderait de continuer à avaler de la nourriture (ou à boire), il n’y a quasiment aucun risque de se faire exploser l’estomac, même en se goinfrant. «En trente ans de pratique, je n’ai jamais vu un estomac éclater à cause d’une suralimentation», confirme le professeur Frossard. La nature est en effet bien faite. Quand trop c’est trop, un réflexe de protection – par le truchement du nerf vague – provoque un hoquet, des nausées puis des vomissements. Les nausées limitent ainsi la quantité de nourriture que l’on est encore capable de manger, tandis que les vomissements permettent de relâcher la pression exercée sur l’estomac. C’est ce qu'on appelle l’indigestion, qui peut également mener à l’évanouissement… mais qui préserve de l’explosion.
Rassurés? Pas si vite! Dans de très rares cas, oui, l'estomac peut se déchirer. Un cas clinique de dilatation gastrique aiguë a ainsi été signalé en 2017 en Turquie. Admise aux urgences pour cause de violentes douleurs abdominales, une patiente de 24 ans avait du être opérée. Les chirurgiens ont constaté que son estomac était perforé et qu'il contenait 5 litres de raisins et de grenades partiellement digérés. Une quantité qu'on peine à imaginer!
Une dernière question vous titille peut-être: comment cela se passe-t-il dans les concours du plus gros mangeur de hot dogs? Avec 76 sandwiches à la saucisse avalés en dix minutes (!) pour le champion de la discipline, comment est-il possible que son cerveau n’ait pas actionné le freinage d’urgence? «On peut entrainer son estomac à absorber en très peu de temps de grandes quantités de nourriture», répond le spécialiste. C'est ce que font certains champions sur les réseaux sociaux oudans ces compétitions bizarres où l’on s’empiffre pour la gloriole.