Absinthe, jambon à l'asphalte…
À la découverte des perles gastronomiques du Val-de-Travers

Jambon «à l'asphalte», truites de l'Areuse et surtout l'absinthe: le Val-de-Travers détient des merveilles gastronomiques surprenantes. Petit tour de table avec Claude Frôté, chef étoilé du Bocca à Saint-Blaise (NE).
Publié: 01.10.2022 à 11:29 heures
Le Musée de l'absinthe à Motiers
Photo: Switzerland Tourism
Joaquim Manzoni

En Suisse, l’esprit de clocher qui règne parfois sous nos latitudes nous empêche de découvrir les merveilles des autres cantons. Alors, dépassons nos préjugés et osons regarder ce qui se fait ailleurs. Et ailleurs, c’est ici…dans le Val-de-Travers, pays de jambon, de vignes mais surtout d'absinthe, et où Claude Frôté, chef du restaurant étoilé Le Bocca, cuisine avec cette puissante liqueur qui met le feu sous le crâne.

Située à l’ouest du canton de Neuchâtel, cette commune fait partie des «Grands sites du goût», un réseau de territoires qui placent leur gastronomie et leurs vins comme porte-drapeau de leur offre touristique. Ambassadeur gastronomique et moteur de la région, Claude Frôté s’est toujours employé à mettre en valeurs ce qui se fait de mieux dans sa terre de cocagne.

Et il a du boulot, parce qu’il y a du goût à revendre dans le Val-de-Travers. Prenez le jambon: «la région possédait des Mines d’asphalte [exploitées jusqu’en 1986]. Ce site est extraordinaire, il faut absolument visiter les galeries souterraines et terminer au restaurant des Mines avec le fameux jambon cuit... à l’asphalte. À l’époque, les mineurs réchauffaient leurs gamelles dans l’asphalte et l’on a gardé cette habitude pour le jambon», raconte Claude Frôté.

Contenu tiers
Pour afficher les contenus de prestataires tiers (Twitter, Instagram), vous devez autoriser tous les cookies et le partage de données avec ces prestataires externes.

Du jambon à l'asphalte

Sur le site internet des mines, on apprend même que le 4 novembre, pour fêter Sainte-Barbe, la protectrice des mineurs, on partageait un jambon cuit dans l’asphalte. Cette technique particulière – une fois le produit bien emballé - permet de maintenir, contrairement à la méthode traditionnelle, tous les arômes et les saveurs du jambon.

La région est également réputée pour ses poissons, notamment les truites de l’Areuse, une autre spécialité à déguster absolument, par exemple au pied du majestueux cirque du Creux-du-Van. Pour Claude Frôté cependant, «il serait faux de parler de cuisine uniquement du Val-de-Travers ou neuchâteloise, parce que la provenance des produits ne se délimite jamais aux frontières physiques. Pour le vin, par exemple, j’aime parler de la région des 3 lacs. C’est un peu la même chose pour le jambon et le poisson.»

Mais si on s'intéresse au vrai goût de la région, on constate qu'il possède une pointe d’anis et de graines de fenouil et d'absinthe, nom de la plante vivace au cœur de la recette. Selon les dires du chef: «C’est vrai qu’il y a des particularités intéressantes dans le Val-de-Travers et son produit phare, c’est l’absinthe!» Star de la région, cette liqueur à l'histoire extravagante, au rituel magique et au goût si riche métamorphose les plats d'une manière surprenante.

Un peu d’histoire

Henri-Louis Pernod, dont le nom évoque l’épopée mondiale des boissons anisées, n’est pas du Midi, ni Français d’ailleurs… hé non, navré pour nos voisins! Il était natif du Locle, et sa première distillerie industrielle fut ouverte avec son beau-père dans le Val-de-Travers. Ce n’est qu’ensuite et bien des années plus tard que le Monsieur passa la frontière pour ouvrir une activité dans le Doubs, pour y commercialiser le fameux Ponsec. Bien qu’interdite durant presque un siècle à cause d’une vague rumeur sur un lien entre la fée verte et la folie, la recette ne s’est toutefois jamais perdue, la distillation non plus. Étonnant quand on sait que personne n’avait d’alambic dans cette vallée? Pourtant, la bleue n’a jamais manqué… incontestablement un miracle!

Photo: Joaquim Manzoni

Pour notre chef, l’absinthe fut sans doute interdite pour des raisons politiques… Il faut sans nul doute chercher du côté du succès phénoménal de cette boisson - la préférée des poètes parisiens maudits dont les légendaires frasques n’arrangèrent pas sa réputation – concurrente au vin, elle sortait complètement du contrôle de l’État: «On peut imaginer que si les vignes sont faciles à surveiller…les champs de petites fleurs sont incontrôlables. En plus, on utilisait de l’alcool maison pour la préparation, cela échappait totalement à la surveillance de l’État. Il faut imaginer la place que prenait l’économie liée autour de l’absinthe. Ce sont certainement des milliers d’emplois qui ont disparu».

La préparation traditionnelle demande un peu de patience. À l’aide d’une fontaine de table, on trouble (louche) son verre d’absinthe en deux étapes. D'abord, on «étonne» en faisant couler de l’eau au goutte-à-goutte sur une cuillère percée contenant un ou deux morceaux de sucre. Quand le sucre s’est dissout, on «bat» l’absinthe en ouvrant le robinet d’eau.

Contenu tiers
Pour afficher les contenus de prestataires tiers (Twitter, Instagram), vous devez autoriser tous les cookies et le partage de données avec ces prestataires externes.

Cette méthode permet de développer pleinement les arômes de petite et grande absinthe, d’anis vert, de graines de fenouil, de mélisse, d’hysope, de menthe, de racine d'angélique, de coriandre, d’anis étoilé, de véronique, de verveine, de tilleul, d’ortie, d’épinard, de réglisse des bois, de cardamome, de bergamote, de sureau noir ou à grappe, ou encore de camomille!

Dans les plats

Dans la cuisine de Claude Frôté, l’absinthe est sensible et délicate, les effluves aromatiques embrassent et relèvent les mets. «C’est une boisson difficile à doser en cuisine. Si tu mets trop d’absinthe, ton plat est gâché. Mais mesurée savamment, elle valorise le tout.» Le tartare de Féra (du lac de Neuch’) ne semble pas démentir cette affirmation. Les quelques gouttes de Fée verte marient d’un coup de baguette magique l'estragon et l’oignon rouge… qui aurait pu croire que la mélisse, les graines de fenouil et la pointe de menthe plongeraient le mangeur en extase?

Photo: Joaquim Manzoni

Le risotto au saucisson neuchâtelois se révèle d'une manière bien singulière au contact de l’absinthe… on a beau savoir qu’il s’agit de la même boisson que pour le tartare, le goût et l’olfaction nous emmènent ailleurs. Le fumé du saucisson chatouille le palais pour se prolonger en bouche… juste suffisamment longtemps, d'avoir le temps de porter une fourchette de risotto en bouche où le crémeux du riz vient vous caresser les papilles.

Le digestif

Pour terminer, pas besoin de boire des litres d’absinthe pour en savourer l’entière complexité. D’ailleurs, la boisson peut être très forte… vraiment très forte… mais n’ayez crainte, avec les explications de Claude Frôté, ça passe tout seul ou presque. «Il faut prendre une lampée en bouche et la déguster comme un whisky: sous la langue, elle vient se mélanger avec la salive qui est légèrement salée, ce qui permet aux arômes de se libérer et comme le cerveau est bien fait et qu’il ne sent pas le goût de sa propre salive… l’absinthe se déglutit en lâchant toutes ses saveurs, sans interférence. Là, c’est comme une grosse claque, puis les odeurs continuent de se développer de longues minutes. Pas besoin d’un boire beaucoup plus pour profiter de cette boisson du Val de Travers!» Alors effectivement, avec pas loin de 75% d'alcool, on va y aller mollo.

Vous avez trouvé une erreur? Signalez-la