Elles claquent, ces marmites! Avec leur look vintage et leurs couleurs pastel contemporaines, elles sont un pont entre deux époques. Les cocottes, poêles et autres casseroles en fonte font fureur dans les cuisines professionnelles comme dans celles des particuliers. Sans oublier sur les réseaux sociaux, où l'on peut voir certains comptes de fans baver devant des palettes colorées de marmites parfaitement ordonnées.
Leur autre particularité, c'est leur prix, pas franchement donné. Est-il justifié, ou bien les fabricants surfent-ils sur une mode? C'est ce que nous allons examiner dans cet article.
Des racines hollandaises
L'origine des cocottes en fonte remonte loin. Vous voyez La Laitière, le célèbre tableau du peintre hollandais Johannes Vermeer? La dame verse du lait dans un récipient qui préfigure les premières cocottes en fonte. Elle n'est pourtant pas en fonte, ni même en métal: il s'agit de terre cuite, un type de céramique produit au XVIIe siècle dans la région du Brabant-Septentrional, aux Pays-Bas. À l'époque, on avait déjà constaté que ces plats étaient très durs, peu poreux et faciles à nettoyer, et on les utilisait notamment pour cuire du pain et des gâteaux, d'où leur nom de braadpan («plat à pain»).
Une cinquantaine d'années plus tard, un entrepreneur anglais nommé Abraham Darby se rendit aux Pays-Bas pour étudier les techniques de fabrication néerlandaises, alors en pointe. Révolution industrielle oblige, les industriels étaient passés au laiton, un alliage métallique à base de cuivre et de zinc. De retour en Angleterre, Abraham Darby tenta de reproduire les méthodes qu'il avait observées, sans succès. Cherchant à réduire les coûts des matériaux, il se mit à couler du fer à la place du laiton. C'est ainsi qu'est née au XVIIIe siècle la première cocotte en fonte (un alliage de fer et de carbone) qu'il nomme dutch oven («four hollandais»), terme toujours utilisé de nos jours dans la langue de Shakespeare pour désigner ces grosses cocottes.
La fonte connut un beau succès et de multiples améliorations aux États-Unis, dès l'époque coloniale et jusqu'au début du XXe siècle. Mais c'est de l'autre côté de l'Atlantique que la fonte se modernisa pour devenir celle qu'on connaît aujourd'hui. En 1925, deux Belges, Armand Desaegher et Octave Aubecq, eurent l'idée de recouvrir le revêtement des casseroles d'une couche d'émail (des minéraux vitrifiés). Cette fonte dite émaillée protège le fer de la rouille et facilite son entretien, tout en rendant sa surface beaucoup moins adhérente. Les deux hommes fondèrent l'entreprise Le Creuset dans l'Aisne, dans le nord de la France, et toutes les ménagères s'équipèrent de ces fameuses cocottes.
Trois idées de génie
Malgré ce succès, les cocottes en fonte faillirent tomber dans l'oubli dans les années 1980 avec l'arrivée des fours micro-ondes qui promettaient une cuisine rapide promettant de ringardiser les cocottes en fonte et leurs longues cuissons. Les ventes s'écroulèrent, jusqu'à ce que Francis Staub, le propriétaire de la marque de cocottes du même nom, eut trois idées géniales qui changèrent le destin des cocottes.
D'abord, il décida de les sortir les cocottes des cuisines pour les montrer et les poser sur les tables, à côté de la belle vaisselle. Il dessina pour cela des mini-cocottes individuelles conçues pour manger directement dedans, tirant cette idée des dinettes pour enfants.
Mais c'est son sens du marketing qui remit les cocottes sur le devant de la scène. Au début des années 1990, il en envoya des batteries à Paul Bocuse, Joël Robuchon et Alain Ducasse, les trois meilleurs chefs de l'époque. Ils furent immédiatement séduits par le côté grand-mère des ustensiles, assurant à Staub et aux autres marques une promotion internationale inespérée. Il n'en fallut pas plus: les cocottes en fonte redevinrent mainstream et firent leur grand retour dans les cuisines.
Le prix d'une cocotte en fonte varie en fonction des matériaux
Voilà pour l'anecdote. Mais pourquoi sont-elles si chères, ces cocottes? En magasin, comptez environ 200 francs pour un modèle Le Creuset de 24 centimètres, un peu moins pour une Staub. Comparée à un simple faitout en inox à 30 francs, la différence est conséquente!
Pour justifier un tel tarif, il faut regarder dans les détails. Soupesez une telle cocotte: si vous n'en avez jamais tenu en mains, vous serez certainement surpris par son poids. Ce sont des ustensiles assez lourds (5 kg pour une petite cocotte de 24 cm) qui embarquent plus de matières premières que leurs concurrents.
Chaque fabricant possède sa propre recette d'alliage métallique pour fabriquer sa fonte. Celles-ci sont tenues secrètes, mais comprennent toutes du fer, quelques pourcents de carbone, et d'autres matériaux. On peut donc supposer que selon la nature du fer (classique ou recyclé), sa teneur ou encore d'autres facteurs, les coûts peuvent varier. Le même raisonnement peut être appliqué au revêtement en émail. C'est peut-être en grignotant sur les coûts que certains fabricants parviennent à vendre des cocottes en fonte «premier prix» à 60 francs.
Le contrôle qualité fait grimper le prix
A la question «pourquoi les cocottes en fonte sont si chères?», on peut répondre en regardant les pays et les procédés de fabrication. Si vous tombez sur une affaire à moins de cent francs sur internet, c'est une quasi-certitude: la cocotte est fabriquée en Chine. En comparaison, les marques les plus réputées en France (Le Creuset, Staub, Invicta…) produisent leurs cocottes sur le sol national, une fierté et une rareté par les temps qui courent. La main d'œuvre coûte évidemment plus cher qu'en Chine, mais cela n'explique pas tout.
Dans un article fouillé par sur le site Serious Eats, on apprend ainsi que les ingénieurs de l'usine de Staub contrôlent et ajustent quotidiennement l'humidité du sable dans lequel sont moulées les cocottes, en fonction de la météo du jour. Dans la fonderie de Le Creuset, chaque cocotte est minutieusement inspectée par une équipe de 15 personnes avant expédition. Toutes ces étapes de contrôle-qualité ont un coût qui se répercute sur le prix en magasin. Le prix de la qualité, on va dire.
Oui, on cuit mieux dans de la fonte
Nous pourrions longuement détailler les avantages de cuisiner dans de la fonte émaillée. Mais nous avons déjà réalisé une petite expérience pour vous montrer la différence entre des filets de poulets cuits dans une poêle anti-adhérente versus une poêle en fonte. La réaction de Maillard s'y développe mieux, pour une croûte bien dorée en surface et de jolis sucs au fond de la poêle, précurseurs de petits fonds de sauce qui ne demandent qu'à être déglacés.
«Ce matériau, un alliage à base de fer revêtu d'une couche d'émail, présente d'abord l'avantage d'être fabriqué sans produit chimique suspect. Souvent de couleur noire ou beige, la fonte émaillée donne des aliments bien dorés, caramélisés si nécessaire. Le matériau se bonifie avec le temps en accumulant une fine patine en surface. La fonte émaillée emmagasine et restitue parfaitement la chaleur. On peut donc cuire ses aliments avec un moindre feu. Très lourdes, ces poêles ont aussi l'avantage de muscler les bras, ce que certaines mauviettes verront cependant comme un problème», écrivait Blick.
Une belle cocotte, ça vaut plus cher…
Parmi les critères qui expliquent pourquoi le monde s'arrache les cocottes en fonte – et pourquoi elles fascinent sur les réseaux sociaux – il en est un purement esthétique. Leur design est intemporel, les couleurs sont brillantes. Bref, elles sont belles. A la différence de ceux en aluminium, ces ustensiles sont faits pour passer directement de la cuisine à table.
Les marques premier prix ne proposent généralement qu'une ou deux couleurs basiques (noir ou rouge par exemple), là où les grandes marques vantent une palette de couleurs au goût du jour, qui change chaque année. Parmi les accessoires indispensables introuvables chez la concurrence, citons enfin la poignée en forme de vache chez Staub.
…mais ça dure plus longtemps
La plupart des cocottes en fonte sont longuement garanties (30 ans chez Staub, à vie chez Le Creuset). Si la vôtre souffre d'un défaut de fabrication (manche cassé, peinture écaillée…), elles vous seront échangées (ou des pièces de remplacement envoyées) sans discussion. Mais attention de bien lire entre les lignes: il s'agit d'une garantie limitée. Autrement dit, si vous faites n'importe quoi avec (en brûlant des aliments dedans par exemple), n'espérez pas un remplacement car ce n'est pas couvert par la garantie.
Prêts pour votre première cocotte?
De notre point de vue, après avoir échangé avec d'autres utilisateurs, discuté avec des fabricants et surtout après avoir utilisé ces ustensiles sur le long terme, nous pouvons dire que oui, ils méritent toute leur place dans votre cuisine. Le prix premium est parfaitement justifié selon nous. Il vaut mieux dépenser un peu plus au moment de l'achat pour avoir l'assurance d'un produit de qualité irréprochable que mijotera des bons petits plats, et que vous pourrez garder toute votre vie, voire transmettre à vos proches. Cela vaut mieux qu'une vulgaire premier prix made in China qui vous décevra tôt ou tard, non?