Mannequin basée à Londres, Alexsandrah Gondora apprécie de pouvoir «être à deux endroits en même temps», grâce à sa réplique créée par l'intelligence artificielle: «elle fait le plus dur du travail!», plaisante la jeune femme.
Des marques de mode peuvent réserver son double numérique pour des séances photo sans qu'elle ait à se déplacer. Une solution qui permet de «gagner du temps», explique la mannequin à l'AFP, qui par ailleurs défile en personne à la Fashion week de Londres, en cours jusqu'à lundi soir.
Dans la mode, l'IA permet déjà de générer des visualisations sur les sites d'e-commerce ou des campagnes publicitaires sur mesure à moindre coût. Si cette technologie ouvre le champ des possibles et fait naître de nouveaux métiers, ses détracteurs craignent que l'IA ne rende obsolètes nombre de professionnels – mannequins, maquilleurs, photographes – et mettent en garde contre une beauté artificielle et normée.
Utiliser l'IA pour limiter les frais
Sur des vidéos à l'esthétique léchée, des Apollons remuent leurs pectoraux sculptés et des divas aux pommettes hautes secouent leur brushing hollywoodien devant des piscines en marbre et des miroirs à moulures dorées. Mais rien de tout ça n'existe: cette campagne de Noël a été entièrement générée grâce à l'IA par le studio Copy Lab pour la marque suédoise de sous-vêtements CDLP.
«Nous sommes une petite entreprise, qui n'a pas les moyens de louer une villa à Beverly Hills», souligne son cofondateur Christian Larson. Lui qui a l'habitude de photographier à l'argentique sait bien qu'"on ne peut prendre qu'un nombre limité de clichés, le soleil se couche, avec lui la lumière disparaît et le budget s'épuise». «Mais avec l'IA, vous plongez dans une spirale infinie d'options», s'extasie-t-il.
Une séance photo dans les Alpes pour des lunettes de ski, qui prend normalement plusieurs mois entre la préparation et les retouches et qui est susceptible de coûter 30'000 euros, peut être réalisée virtuellement pour 500 euros en quelques jours, affirme Artem Kupriyanenko, citant un exemple réalisé par sa société Genera, basée à Londres et à Lisbonne.
Des visages stéréotypés
Genera propose un catalogue de 500 mannequins virtuels, dont elle affirme détenir la totale propriété intellectuelle. L'avatar peut être personnalisé: «on peut faire n'importe quelle forme de corps», choisir le «genre» ou l'"ethnicité», ce qui permet une représentation «très inclusive», assure Keiron Birch, un ancien de Calvin Klein devenu directeur artistique chez Genera.
Mais l'IA a tendance à proposer un visage type caractéristique, qui diffère ensuite selon les générateurs. MidJourney a par exemple une propension à gonfler les lèvres. Ces modèles ont été entraînés sur des banques d'images souvent retouchées, qui reflètent une esthétique «blanche et occidentale», explique Carl-Axel Wahlström, qui a co-fondé à Stockholm Copy Lab, derrière la campagne de CDLP.
Afin d'obtenir des résultats moins génériques, cet ancien consultant dans la publicité peaufine les descriptions qu'il fournit aux moteurs d'IA, ou «prompts». Pour plus de réalisme, il les entraîne aussi sur des bases de données «imparfaites», où il a par exemple ajouté des photographies de sa peau, de celle d'une petite amie ou de connaissances.
Garder le contrôle sur son IA
Alexsandrah Gondora déplore cependant que «certaines marques utilisent des images créées à partir de bases de données puisées sur internet et se dispensent de payer un mannequin». D'autres pourraient virtuellement dupliquer des top models à leur insu.
Face à cette zone grise, le «Fashion Workers Act» qui doit entrer en vigueur à l'été à New York, permettra aux modèles de contrôler l'utilisation de l'IA pour reproduire leur image. Mais son application pratique semble compliquée.
Alexsandrah Gondora, quant à elle, est rémunérée pour les prestations de son alter ego numérique et garde le dernier mot sur le rendu. C'est également le cas lorsqu'elle contribue à faire vivre Shudu Gram, une top modèle noire générée par l'IA. Ce personnage virtuel créé en 2017, présenté comme le «premier supermodel numérique au monde», est suivi par 237'000 abonnés sur Instagram.
Alexsandrah Gondora et plusieurs autres mannequins noires, bien réelles, lui prêtent leurs traits à différentes occasions. Shudu Gram s'est par exemple retrouvée en couverture du Vogue australien, «interprétée» par Alexsandrah Gondora.
Utilisée de façon éthique, l'IA ne prive pas d'opportunités les mannequins issues de la diversité, assure la Londonienne. Elle affirme même que cette technologie lui a «ouvert certaines portes».