Fake news, insultes et populisme
Cyril Hanouna, intouchable symbole des dérives de la télé

La chaîne C8, sur laquelle il officie, s’apprête à fermer, notamment à cause de son émission controversée. Mais le présentateur le plus contesté de la télévision française, biberonné à la télé depuis tout petit, ne semble pourtant pas près de raccrocher les gants.
Publié: 21.12.2024 à 09:28 heures
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Dernière mise à jour: 21.12.2024 à 09:30 heures
La télévision, Cyril Hanouna est tombé dedans quand il était petit. D’abord en la regardant avec sa grand-mère, puis en participant à des jeux («Le Juste Prix» et «Que le meilleur gagne») et enfin en devenant stagiaire sur la chaîne Comédie!.
Photo: AFP
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Margaux BaralonJournaliste Blick

Les semaines de Cyril Hanouna sont toujours chargées. Tous les après-midi, de 16 heures à 18 heures, l’infatigable présentateur est aux manettes d’«On marche sur la tête», son émission sur la chaîne de radio française Europe 1. À peine le temps de traverser la Seine pour passer du 15e arrondissement parisien à la commune de Boulogne-Billancourt et rejoindre les studios de la télévision C8, que l’animateur est de nouveau en direct, pendant plus de deux heures, à la tête de «Touche pas à mon poste !» (TPMP pour les intimes). Mais cette semaine-ci a été encore plus remplie que les autres. 

Mardi s’est ouvert un procès, intenté par Louis Boyard, député La France insoumise (LFI, le parti de Jean-Luc Mélenchon) à l’encontre de l’animateur. L’élu, lui-même ancien chroniqueur dans TPMP, reproche à Cyril Hanouna des insultes en direct lors d’une émission en 2022. Si l’homme de télévision n’était pas présent pour lui répondre à l’audience, il était bien là, en revanche, deux jours plus tard, pour une manifestation devant les locaux de l’Arcom. L’autorité chargée de réguler l’audiovisuel français a en effet ordonné il y a plusieurs mois la fermeture de C8, après de multiples manquements aux règles de déontologie, commis notamment par l’animateur. 

Cyril Hanouna a traversé ces deux événements avec l’attitude qui est la sienne depuis des années à l’antenne. Un mélange d’excitation dans la forme qui tranche avec son flegme sur le fond, sans jamais esquisser le moindre mea culpa mais en pointant du doigt ses cibles préférées: l’État, les personnalités politiques de gauche et les fonctionnaires. Il faut dire que s’il est certainement l’animateur le plus controversé de la télévision francophone, celui qui vient de fêter ses cinquante ans est aussi l’un des plus puissants.

Un enfant de la télé

La télévision, ce fils d’immigrés juifs tunisiens est tombé dedans quand il était petit. D’abord en la regardant avec sa grand-mère, puis en participant à des jeux («Le Juste Prix» et «Que le meilleur gagne») et enfin en devenant stagiaire sur la chaîne Comédie!. C’est là qu’il prend, pour la première fois, l’animation d’une émission. Nous sommes en 2000, Cyril Hanouna touche enfin du doigt son rêve de toujours, celui qui fait pourtant grincer les dents d’un père qui l’aurait plutôt vu médecin. Mais deux rencontres vont lui permettre de passer la seconde.

La première a lieu dans la cour de la chaîne Comédie! alors que Cyril Hanouna est… déguisé en champignon. Le producteur Stéphane Courbit l’aperçoit, le trouve drôle, lui propose de le prendre sous son aile. Sur TF1, France 2, France 3 et France 4, le jeune homme commence à se faire un nom. Et des images qui restent, notamment celle de lui soufflant dans l’anus d’un bouledogue, l’une des premières clowneries d’une carrière qui en compte beaucoup. Depuis, Cyril Hanouna a bu de l’urine, exhibé son pénis quelques fois ou encore fourré le slip d’un chroniqueur avec des nouilles, entre autres faits d’armes.

Le grand amour avec Vincent Bolloré

La deuxième rencontre décisive a lieu en 2004. Quatre ans que le trentenaire enchaîne les passages furtifs sur les plateaux et la présentation d’émissions qui s’arrêtent faute d’audience. Mais l’homme qui lui propose un café va changer sa vie. Il est Breton, catholique, milliardaire et à la tête de la chaîne D8, devenue depuis C8. Son nom? Vincent Bolloré. Entre les deux, le courant passe vite et bien. Ils s’échangent des textos, Cyril Hanouna fonde sa boîte de production, H2O, avec le fils du capitaine d’industrie, Yannick, qui est aussi son partenaire de tennis, de padel ou d’échecs. En 2012, l’animateur déménage son émission, déjà appelée TPMP, de la chaîne France 4 vers D8, officialisant une fructueuse collaboration.

Car Vincent Bolloré n’aime rien tant que les collaborateurs fidèles et loyaux qui ne posent pas trop de questions. Cela tombe bien, c’est le profil de Cyril Hanouna. En échange, le milliardaire met volontiers la main au portefeuille. En 2015, il débloque 250 millions d’euros pour que son poulain produise encore des émissions pendant cinq ans. Aujourd’hui, selon le tabloïd «Public», ce serait 30 millions tous les ans et l’animateur toucherait 40’000 euros par mois, soit plus de 37’000 francs, uniquement pour TPMP. 

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On n’a rien compris à Cyril Hanouna si on ne saisit pas que c’est un homme de pouvoir
Philippe Moreau-Chevrolet, spécialiste en communication politique
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Le total de ses émoluments est évalué, selon diverses sources, entre 150’000 et 200’000 euros mensuels. Dans son numéro consacré à «Baba», comme on le surnomme, le magazine «Complément d’Enquête», diffusé sur le service public, parle d’une fortune estimée à 85 millions d’euros (plus de 79 millions de francs), résidences secondaires et yachts compris – l’animateur en possède trois.

«Un mec de pouvoir animé par le pouvoir»

Mais dans le milieu de la télévision, l’argent ne suffit pas à asseoir la puissance. «On n’a rien compris à Cyril Hanouna si on ne saisit pas que c’est un homme de pouvoir. Un mec de pouvoir animé par le pouvoir», analyse Philippe Moreau-Chevrolet, spécialiste en communication politique qui a passé du temps dans les coulisses de TPMP pour en tirer le scénario d’une BD, auprès du «Monde». Le pouvoir est, d’une part, celui de l’influence. Après des années de vache maigre du côté des audiences, l’animateur fait un carton tous les jours. Son retour sur Europe 1 à la rentrée a triplé le nombre d’auditeurs de la tranche – qui, certes, partait de très bas. Sur C8, TPMP attirait en moyenne ces dernières semaines plus de 2 millions de personnes. 

Et même celles et ceux qui ne regardent pas en parlent. Sur les réseaux sociaux, les extraits de l’émission tournent à plein régime, ravissant les «fanzouzes», comme Cyril Hanouna lui-même appelle les internautes qui l’adorent, et agaçant les amateurs de faits précis et d’informations exactes. L’année dernière, l’animateur exhibe une vidéo sur laquelle apparaissent, selon lui, des toxicomanes accros à la «drogue du zombie». En réalité, il s’agit de personnes handicapées. Quelques mois plus tôt, une invitée sombre dans le complotisme crasse et explique en direct, sans jamais être contredite, que des célébrités kidnappent et sacrifient des enfants pour consommer leur sang. 

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Dans cet imaginaire, le public-peuple guidé par le bon sens et l’intérêt commun a forcément raison: critiquer l’émission revient à dénigrer ce public, donc le peuple
Claire Sécail, historienne des médias
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Au-delà de ces mensonges criants, le plateau de TPMP est régulièrement le théâtre de comportements sexistes et homophobes, avec des chroniqueurs qui mettent des mains aux fesses, embrassent des seins ou soulèvent des jupes. Au total, depuis 2012, l’Arcom a infligé 35 sanctions à la chaîne C8, dont une écrasante majorité pour l’émission TPMP. Et le rythme s’accélère depuis 2021, ce qui a motivé le non-renouvellement de la fréquence de la chaîne. Avec, à chaque coup d’éclat, un concert de protestations de la part des détracteurs de Cyril Hanouna, qui se heurtent à l’indifférence amusée de l’animateur et l’hostilité de son public.

Un agenda politique

Mais l’influence de «Baba» n’est pas cantonnée aux sphères sociétale et culturelle. En politique aussi, l’animateur avance ses pions. Pour résumer l’entreprise, il suffit de s’intéresser à l’émission du 13 juin 2024. La France s’apprête alors à connaître des élections législatives anticipées, après la dissolution de l’Assemblée nationale par Emmanuel Macron. À l’extrême droite, le parti Reconquête, emmené par Éric Zemmour, et celui du Rassemblement national de Marine Le Pen, avancent en ordre dispersé. Sur le plateau de TPMP, Sarah Knafo, candidate Reconquête fraîchement élue eurodéputée, le regrette. Ni une ni deux, Cyril Hanouna sort en direct son téléphone portable pour appeler Jordan Bardella, tête de liste RN, et organiser un rendez-vous entre les deux. 

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Pour cette «implication dans une négociation politique», la chaîne C8 reçoit une mise en garde de l’Arcom. Mais l’objectif de l’animateur est clair: l’union des droites. Une ligne éditoriale qui correspond en tous points à celle de l’ensemble des médias français détenus par Vincent Bolloré. 

Dans un essai intitulé «Touche pas à mon peuple», l’historienne des médias Claire Sécail s’est attachée à disséquer la mécanique de TPMP et son grand manitou. L’émission, parce qu’elle est populaire, se targue de représenter le peuple lui-même. Le plateau, animé de débats faussement présentés comme équilibrés, deviendrait alors une agora démocratique. «Dans cet imaginaire, le public-peuple guidé par le bon sens et l’intérêt commun a forcément raison: critiquer l’émission revient à dénigrer ce public, donc le peuple», écrit Claire Sécail. 

L’historienne va plus loin, en montrant que TPMP «brouille le débat en laissant penser que les opinions n’ont pas besoin des faits pour être défendues». En se basant uniquement sur des clashs et un mode de pensée binaire (les chroniqueurs sont constamment en train de répondre à des questions sur le mode «pour ou contre»), l’émission atteint des sommets de populisme. «Se taire ou fermer les yeux, c’est ajouter à la faillite morale collective de notre époque, dont la trajectoire de Cyril Hanouna n’est que l’un des symptômes», conclut Claire Sécail.

Un pouvoir… de nuisance

Mais le pouvoir de Cyril Hanouna n’est pas seulement celui de l’influence, il est aussi celui de la nuisance. Si le milieu de la télévision n’est pas réputé pour sa bienveillance généralisée, l’animateur va, là encore, plus loin que les autres. Son confrère Arthur, qui a pourtant contribué à lancer sa carrière en l’accueillant dans «Les Enfants de la télé» à ses débuts, est régulièrement la cible de ses moqueries, quand ce ne sont pas des menaces. 

Karine Lemarchand, animatrice sur M6, en a aussi fait les frais. Michel Cymès, le très médiatique médecin officiant notamment sur la télévision publique, s’estime «trainé dans la boue» par le présentateur, dont il a été l’invité il y a plusieurs années. Le journaliste sportif Julien Cazarre a même porté plainte contre Cyril Hanouna en 2016 pour appel téléphonique malveillant. La plainte a été classée sans suite.

«Tout ça, c’est de l’humour, c’est pour rire, c’est pour déconner», répond Cyril Hanouna au «Monde» qui l’interroge sur ses attitudes de petit caïd. Mais il y a quelques mois, l’animateur vise encore dans son émission l’un de ses ex-collaborateurs, Bertrand Chameroy, et reconnaît qu’il lui fait peur: «Quand il me voit, il se chie dessus. Un peu comme tout le monde, c’est ça le problème.»

Ecrire la suite

Dès 2016 et l’affaire des nouilles dans le slip d’un chroniqueur, le journaliste Bruno Donnet, spécialiste des médias officiant alors sur la chaîne de radio France Inter, avait dénoncé des «humiliations sans précédent dans l’histoire de l’abjection à la télévision» et la normalisation télévisuelle de pratiques de harcèlement dans TPMP. 

Cyril Hanouna et le producteur de télévision français Lionel Stan assistent à une séance devant la commission d'enquête parlementaire sur l'attribution des fréquences de télévision, à l'Assemblée nationale à Paris le 14 mars 2024.
Photo: AFP

Neuf ans plus tard, l’émission de Cyril Hanouna s’apprête à disparaître. Selon «Le Parisien», l’animateur l’a confirmé ce jeudi à ses équipes: elle cessera d’être diffusée avec la fin de C8, fin février 2025. L’option de déplacer son émission sur une autre chaîne de Vincent Bolloré, comme CStar ou Canal+, a été écartée. Hasard du calendrier, le jugement dans le procès intenté par Louis Boyard pour insultes sera rendu lui aussi à ce moment-là.

L’intouchable serait-il tombé de son piédestal? L’animateur a prouvé que s’il avait bien un talent, c’était celui de savoir rebondir. Son regard est désormais tourné vers Internet, et notamment YouTube, avec l’idée de proposer un nouveau TPMP en ligne. «Ne vous inquiétez pas, vous aurez votre talk-show tous les soirs», a-t-il lancé à la cinquantaine de personnes venues manifester ce jeudi devant l’Arcom. La période qui s’ouvre lui donnera l’occasion de mettre à l’épreuve la citation de son idole, l’humoriste Coluche: «Je ne suis pas allé partout mais je suis revenu de tout.»

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