Une sévère maîtrise des coûts et des voitures vendues cher: la méthode Carlos Tavares est arrivée en bout de course après dix ans de chiffres records chez PSA puis Stellantis. C'est par un désaccord stratégique, avec des «points de vue différents» entre le conseil d'administration et le dirigeant, qu'Henri de Castries, administrateur de Stellantis, a expliqué dimanche le départ brutal du dirigeant.
Carlos Tavares avait pourtant fait vrombir les marchés financiers ces dernières années, en réussissant une des fusions les plus ambitieuses de l'industrie automobile, réunissant 15 marques américaines, françaises, allemande et même chinoise (avec Leapmotor dernièrement) sous le capot du groupe Stellantis. Ex-N°2 de Carlos Ghosn chez Renault, M. Tavares se définissait lui-même comme un «psychopathe de la performance».
Il avait appliqué chez Stellantis la même recette que chez PSA Peugeot-Citroën: une chasse aux coûts dans les usines, avec de nombreuses suppressions de postes et quelques fermetures, de sévères négociations sur les achats qui désespéraient les fournisseurs, et une forte exigence auprès de ses équipes. Carlos Tavares se félicitait toujours de défendre le «pricing power» de ses marques, soit sa capacité à imposer des prix plus élevés sur les modèles, pour en finir avec les importants rabais commerciaux qui grevaient les marges.
Mais après avoir enchaîné les trimestres records, Stellantis avait finalement pris acte début octobre d'une «détérioration» globale du marché automobile et de difficultés particulières sur le marché américain. Les Dodge et Ram neuves qui s'amoncelaient dans les parkings des concessionnaires aux Etats-Unis avaient alarmé le conseil d'administration et les marchés financiers. Affichés trop cher, avec une qualité en baisse, ces modèles ne se vendaient plus.
Un pari qui n'a pas payé
En Europe, Fiat, Citroën ou Maserati souffrent de l'arrivée tardive de nouveaux modèles, parfois ralentie par des problèmes électroniques. «La stratégie de réduction des coûts est arrivée en bout de course», a commenté l'analyste allemand Matthias Schmidt. «Tout le jus avait été tiré, et c'était devenu évident sur un marché automobile très faible».
M. Tavares «laissera en héritage les marges très hautes publiées dans les premières années de Stellantis, alors que l'industrie automobile était en difficulté», a expliqué l'analyste. «Mais il investissait moins dans le futur du groupe, en pariant davantage sur ses technologies traditionnelles».
La stratégie de plateforme, qui consistait à produire toujours plus de véhicules sur une même base technique, comme chez Volkswagen, freinait les acheteurs de DS, Alfa Romeo ou Jeep, moins prêts à payer davantage pour un véhicule finalement pas très différent d'alternatives moins chères. Et la concurrence asiatique, d'abord coréenne puis chinoise, soulignait la différence.
Gestion sévère des ressources humaines
La gestion sévère des ressources humaines avait aussi ses limites: plusieurs hauts gradés de Stellantis ont quitté le groupe au cours des derniers mois, dont trois partis en Europe chez le géant chinois BYD. Dimanche, le conseil d'administration de Stellantis a décidé que les étoiles n'étaient plus alignées, et a accepté à l'unanimité la «démission» de Carlos Tavares, qui devait initialement partir à la retraite début 2026.
John Elkann, président du conseil d'administration et héritier de la famille Agnelli, le premier actionnaire du groupe, a remercié M. Tavares dimanche mais aussi indiqué travailler pour «l'intérêt à long terme de Stellantis». «Carlos Tavares aura mené en 10 ans à la tête du groupe le rachat d'Opel puis la fusion de PSA et Fiat Chrysler Automobiles en 2021, après avoir géré les perturbations importantes liée à la crise du Covid», a souligné de son côté une source gouvernementale français. L'Etat français détient un peu plus de 6% du capital de Stellantis. «Ironiquement, il n'a pas restructuré autant qu'il l'aurait pu dans un contexte de marché aussi faible», a observé Matthias Schmidt. Le groupe a annoncé récemment la fermeture de l'usine de Luton au Royaume-Uni, mais a maintenu des usines avec des niveaux de production faibles en France et en Italie.
Outre ses relations compliquées avec les gouvernements locaux, cette protection est aussi liée à «l'image +made in Europe+ de plusieurs marques du groupe» (Fiat, Opel, Peugeot), selon Matthias Schmidt.