Entre bombes et abri antiaériens
Le défi quotidien des familles en Ukraine

Depuis deux ans, la guerre en Ukraine frappe l'est; à l'ouest, la vie s'organise dans des abris. Rencontre avec 4 familles aidées par la Croix-Rouge suisse.
Publié: 18.02.2024 à 00:00 heures
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Dernière mise à jour: 18.02.2024 à 09:59 heures
Les enfants doivent rester dans le abri antiaériens pendant l’alerte aérienne. Ils s’occupent en jouant, en chantant et en mangeant des biscuits.
Photo: CRS, Bernard van Dierendonck
par Silvana Degonda

Dans ce sombre abri antiaériens qui date de la Première Guerre mondiale, dix enfants sont assis sous des couvertures. Ils se lancent une pelote de laine. Le garçon ou la fille qui l’attrape dit ce qu’il ou elle aime. Pour Anja, c’est le dessin, pour Denis, le chant et pour Artim, le football. Tout en retenant le fil entre deux doigts, l’enfant envoie ensuite la pelote à un autre. Petit à petit, un filet rouge prend forme entre eux. 38 minutes plus tard, une sirène retentit, signalant la fin de l’alerte aérienne. Les gamins éclatent de joie. La vie reprend son cours.

La peur n’a pas sa place au quotidien

Dans le abri antiaériens, on rencontre Melania, trois ans. Cet après-midi-là, elle était au centre de soutien psychosocial près de la ville de Kremenez, dans l’ouest de l’Ukraine, quand l’alarme a sonné. Lorsque les sirènes retentissent, enfants et monitrices vont se réfugier dans le abri antiaériens, Ils doivent y rester jusqu’à ce qu’une deuxième salve sonore signale la fin de l’alerte. S’il y a parfois quelques jours de trêve, il arrive aussi que plusieurs alertes aient lieu dans une même journée. Elles peuvent durer quelques minutes ou plusieurs heures. Mais les enfants ne craignent plus les sirènes : désormais, la guerre fait partie de leur vie. 

Désormais, Olena Boiko et sa fille Melania habitent dans l’ouest de l’Ukraine.
Photo: CRS, Bernard van Dierendonck

Melania passe souvent l’après-midi au centre. Sa mère, Olena Boiko, 41 ans, y anime bénévolement des ateliers pour les enfants jusqu’à douze ans. Ouvert par l’État il y a plus d’un an, l’espace d’accueil est géré avec l’aide de la Croix-Rouge suisse. «Les enfants ont vu et traversé des choses terribles. Ils réagissent tous différemment à ces expériences. Nous leur proposons des activités comme le chant ou la danse pour y faire face», détaille Olena Boiko.

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La Croix-Rouge suisse (CRS) s’engage auprès des personnes les plus vulnérables dans une trentaine de pays. Depuis l'escalade du conflit en février 2022, la CRS soutient l’aide d’urgence en Ukraine. L'hébergement et la prise en charge des personnes déplacées à l'intérieur du pays sont au cœur de son action.

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L’animatrice bénévole et ses quatre enfants ont eux aussi dû fuir Bakhmout, à l’est du pays. «Chaque nuit, il y avait des attaques de drones. Nous dormions souvent dans le couloir, à même le sol. Entre ces deux murs, nous étions un peu plus à l’abri des bombes.» La ligne de front se rapprochait néanmoins. Le jour où un missile est tombé juste à côté de leur appartement, elle a décidé de partir vers l'ouest avec ses deux fils et ses deux filles. Son mari combattait encore ; il les a ensuite rejoints après avoir été blessé. «Nous avons tout perdu, cela a été très difficile. Ici, j’espère que nous allons pouvoir trouver un peu de paix», résume Olena Boiko. «Nous ignorons ce qui nous attend. Mais la vie doit continuer, je veux que mes enfants grandissent en sécurité.»

Une fuite de 1000 km

Depuis le début de la guerre, six millions de personnes ont fui l’Ukraine et cinq millions ont quitté l’est du pays pour l’ouest. Ces déplacés doivent refaire leur vie loin de chez eux, sans savoir s’ils pourront rentrer un jour.

Dans leur fuite, Volodymyr et sa femme Raisa ont parcouru plus de 1000 kilomètres. Dans leur nouveau chez eux, ils attendent que la guerre se termine.
Photo: CRS, Bernard van Dierendonck

Comme Raisa, 60 ans, et Volodymyr Chalij, 62 ans. Lorsque l’armée russe a attaqué leur village situé dans la région de Donetsk, les vitres de leur maison ont éclaté et son toit s’est effondré. «Je pensais que nous étions coincés, que nous allions être ensevelis sous les décombres», se rappelle Raisa Chalij. Paralysé depuis dix ans par une attaque cérébrale, son mari ne peut plus parler. Heureusement, des bénévoles ont amené le couple à la gare et aidé Volodymyr et son fauteuil roulant à embarquer dans le train. Raisa et Volodymyr se sont réfugiés à Terebovlya, une ville à 1000 kilomètres de chez eux. 

Ils habitent désormais une petite chambre au deuxième étage d’un foyer d’étudiants. Cet hiver, chaque mois, la Croix-Rouge leur donne une cinquantaine de francs. De quoi payer une partie des médicaments de Volodymyr. «Vous savez, le village où nous vivions s’appelle Rai-Oleksandrivka – Rai signifie paradis», précise Raisa. Des larmes coulent sur les joues de son mari.

Un semblant de retour à la normale

Dans la chambre voisine, Inna Naumova, 33 ans, vit avec Nicole, sa fille de 4 ans. Elles préparent une soupe dans la cuisine commune. Les treize personnes qui habitent à ce niveau l’utilisent quotidiennement. L’équipement est sommaire, «mais on a tout le nécessaire», souligne Inna. Elles ont passé près d’un an et demi sous le feu constant de l’armée russe dans la ville de Zaporijia. «J'ai attendu le dernier moment pour fuir, car j’étais seule avec Nicole», précise-t-elle. Juste après leur arrivée, la petite est tombée malade. Elle ne s’alimentait presque plus. Elle est désormais rétablie : «Elle adore la soupe», sourit Inna.

Inna Naumova et sa fille de quatre ans préparent une soupe dans la cuisine de la résidence universitaire. Elles partagent cet espace commun avec les onze autres personnes qui vivent au même étage.
Photo: CRS, Bernard van Dierendonck

La jeune maman ignore de quoi leur avenir sera fait. Elle aimerait retrouver un emploi dans la vente, mais sans personne pour garder sa fille, c’est presque impossible. Le duo bénéficie également d’une aide financière qui lui permet de s’offrir un peu de normalité. Une fois le repas terminé, Inna habille chaudement Nicole: «Nous allons au cirque!»

Une lueur d’espoir

A 200 kilomètres à l’est de Lviv, le petit village de Yus'kivtsi abrite un centre communal pour les seniors. Dans la cuisine, trois femmes âgées préparent des varenyky, ces raviolis fourrés aux choux ou aux pommes de terre. Fait rare, le centre dispose du chauffage et d’une douche. Il sert de refuge et bénéficie du soutien financier de la Croix-Rouge. 

Volodymyr Hrechko montre une photo des ruines de sa maison. Il garde cependant espoir de retourner un jour à Marioupol.
Photo: CRS, Bernard van Dierendonck

C’est là que nous rencontrons Volodymyr Hrechko, un électricien de 63 ans. Sur son téléphone portable, il nous montre la photo d’une ruine. C’est tout ce qu’il reste de sa maison, à Marioupol. 

L’après-midi du 24 février 2022, il est au travail lorsque son patron renvoie tous les employés chez eux. Deux jours plus tard, des soldats russes se battent en bas de chez lui. Avec sa femme Tetyana Hrechko, 66 ans, ils font leurs valises, montent dans leur voiture et s’en vont. L’armée russe a assiégé cette ville portuaire pendant trois mois, la détruisant presque complètement et faisant 20'000 morts. 

Après plusieurs détours, le couple a fait route vers l’ouest de l’Ukraine. Il habite désormais la maison de vacances d’amis. Ici, Volodymyr n’a pas grand-chose à faire. Son foyer lui manque et il suit les informations pour savoir ce qui se passe à Marioupol. «J'espère vraiment pouvoir rentrer chez moi.» 

Les personnes arrachées à leur quotidien ne gardent qu’une chose de leur vie d’avant-guerre: l’espoir.

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