Portrait
On a discuté avec Yoann Caloué, le Genevois qui sert des plats gastro (et des burgers)

Celui qui fut un temps le plus jeune chef étoilé de Suisse vient de rouvrir son restaurant totalement rénové…et continue de proposer des hamburgers soignés dans une autre adresse. Blick a rencontré ce chef, maître du «grand écart» gastronomique.
Publié: 11.06.2022 à 06:08 heures
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Dernière mise à jour: 20.06.2022 à 21:41 heures
Blick a rencontré le chef Yoann Caloué.
Photo: @lena ka
Nouhad Monpays

«Tu ne vas me poser que des questions comme celle-là?», me demande Yoann Caloué, avec un soupçon de défiance alors que je le questionne sur ce qui l'a poussé à devenir chef. Nous nous tutoyons. Après presque dix ans à se croiser, on peut dire que l'on se connaît un peu. Il est 15h passées, il est fatigué par le service du midi, mais comme toujours, ce chef d’un naturel plutôt discret finit par se lancer et livrer quelques confidences.

Ce premier juin, c'était le premier service du midi au nouveau Café des Banques, récemment rénové sous l'impulsion de Yoann Caloué. J'étais fébrilement assise à la table du chef. Pièce maîtresse des lieux, c'est une immense table en granit foncé, qui s’étire de la cuisine — entièrement ouverte — vers la salle. À l’une des extrémités, le chef se tient près du passe-plats où il peaufine ses dressages et n’hésite pas à venir servir ses convives directement.

Photo: Nouhad Monpays

Peu importe le flacon…

Après avoir officié pendant dix ans au Flacon à Carouge où il fut un temps le plus jeune étoilé de Suisse, Yoann Caloué a plié bagages en septembre 2021. Les restrictions liées au Covid ne sont pas étrangères à cette décision, mais c’est surtout «l’envie d’être chez moi qui m'a motivé, et puis cette pandémie a certes laissé des gens sur le carreau, mais comme le malheur des uns fait le bonheur des autres, quelques arcades bien placées se sont libérées…» glisse-t-il.

Après à peine quelques semaines au vert, cet insatiable travailleur réapparaît sur les radars gourmands à l’emblématique Café des Banques en centre-ville de Genève. Pour son lancement en solo, en novembre 2021, il exploite «dans son jus» ce bistrot connu des Genevois, en mode pop-up. Tout cela alors qu'il attendait le relooking de l’établissement, pour lequel il a mandaté l’architecte chouchou des restaurateurs genevois, Yuri Kravchenko.

Rien pourtant ne prédestinait ce gamin ayant grandi dans une ferme normande, «une ferme biologique, ce qui était plutôt novateur et rare à l’époque», à flirter avec les étoiles. «On m’a beaucoup dit que la cuisine c’était pour les nuls, dit-il, car auparavant c’était considéré comme une voie de garage». Comme il leur a donné tort! Ses rencontres avec des chefs de renom ont forgé son caractère et influencé sa cuisine, notamment son expérience avec Claude Bosi, chef deux macarons Michelin (L’Hibiscus puis le Bibendum à Londres). À Genève, il a également travaillé pour Serge Labrosse au Buffet de la gare des Eaux-vives, fermé depuis. Enfin, «après quelques errances», sourit-il, c’est en 2012 au Flacon, à Carouge, que le jeune chef a posé ses couteaux.

Un an plus tard, à 29 ans, il reçoit un macaron Michelin qui fait de lui le plus jeune étoilé suisse. «Aujourd’hui, il y a des chefs bien plus jeunes qui obtiennent leur première étoile», rappelle-t-il modestement. N'empêche qu'il l'a conservée sept ans durant. Avec notamment un menu dégustation à moins de 100 francs dans une adresse qui tenait davantage d'un bistrot que d'un gastro, le chef a su maintenir l’excellence de sa cuisine et surtout fidéliser une clientèle parfois difficile: «À Genève, le client est compliqué, mais une fois qu’il est avec vous, il vous soutient et vous suit partout», déclare-t-il, reconnaissant.

…pourvu qu'on ait l'adresse

L'ont-ils suivi jusqu'au Café des Banques? On le saura bientôt. Dans la grande salle fraîchement rénovée, je remarque que certaines tables, les plus petites, sont nappées. C’est moderne ça? «J’aime les nappes, ça donne un côté réconfortant, et ça contraste avec les chaises ébènes, le chrome et le granit de la cuisine et de la table d’hôte» se défend-t-il.

Soit, vas pour la nappe donc. Cette touche de rigueur contraste avec la boule à facettes suspendue au-dessus de l’escalier: «C’est au cas où ça devient un peu festif en fin de soirée…J’adore, pas toi?», s'enquiert-il en l’allumant. Comme pour ses nappes et sa boule disco, entre sa coupe impeccable et son franc-parler, Yoann n’est pas à un paradoxe prêt. Au fond, cela apporte une touche de singularité qui crée la surprise.

Côté cuisine, Yoann Caloué révise les excellents plats qui ont fait son succès, avec aussi quelques nouveautés dont un poulpe laqué encore jamais vu dans ses menus. On découvre aussi un excellent ris de veau pour les gourmets audacieux, et plein d’autres délices aux dressages au cordeau.

Photo: Nouhad Monpays

Seuls les desserts, pourtant justes en goût, semblent un peu pêcher en comparaison à l’excellence du reste, au niveau des dressages surtout. Le chef acquiesce, sans s’irriter de ma remarque, mais précise: «Ce sont en effet des desserts de chef, c’est un axe d’évolution auquel je réfléchis. Je rêve d’un beau chariot de desserts, quelque chose de très contemporain. Mais là il fallait ouvrir, il faut bosser maintenant! Le reste va se mettre en place petit à petit.»

Des burgers pour les gourmands

Mais où trouvera-t-il le temps nécessaire? Car le chef hyperactif a un autre projet sur le feu: Ultra burgers, nouvelle adresse à Terrassière qu'il a investie durant le rafraîchissement du Café des Banques. Dans cette mini arcade ouverte en mars 2022, Yoann Caloué signe le retour de ses burgers gourmets, projet initié au Flacon durant la pandémie. Il y a cette fois de plus nombreuses recettes à déguster, tout cela dans un décor de diner américain coloré, très sixties, également signé Yuri Kravchenko. «Cette arcade était une opportunité tombée au bon moment, puisqu’on pouvait ouvrir lors de la fermeture du Café des Banques. Mais je n’aurais pas voulu lancer le projet sans lui. Yuri arrive à donner vie à ma vision, tout en y ajoutant sa touche créative et son savoir-faire».

Un chef étoilé dans le hamburger? Mais pourquoi? Réponse de Normand: «Pourquoi pas en même temps?» Avant de préciser: «À Paris, Londres, tout le monde fait ça… Après tout, le burger ça peut être noble aussi, tout dépend de l’approche non?». Yoann Caloué y propose un burger de qualité à la hauteur de sa cuisine qu'il dit «toujours exigeante». Pour cela, le chef a poussé le bouchon avec de beaux et simples produits. Des pickles, des sauces et des frites 100% maison: ce sont des ingrédients cuisinés, «pas une simple feuille de salade et une rondelle de tomate posée là», mais de l’oignon confit 12 heures par exemple.

Photo: Nouhad Monpays

On déguste au comptoir des burgers fort sympathiques, à des prix pas rikiki, mais pas délirants non plus. Ils se découvrent entre 23 et 25 francs avec les frites. Il faut dire que le chef a mis le paquet sur la qualité des produits de base avec des buns pensés avec la boulangerie Guerrazzi (Carouge), du bœuf premium de la famille Minder (Neuchâtel), du porc de la famille Chappuis (Lussery-Villars).

À la reconquête d'une étoile?

Ce grand écart entre le gastro et les hamburgers ne va-t-il pas le gêner dans la reconquête d'une étoile dans son nouvel établissement du Café des Banques? Il y a quelques mois, Yoann Caloué m’avait dit ne plus être dans «la course aux étoiles». Alors?

«Qu’est-ce que je peux dire comme conneries moi!, s'esclaffe-t-il, bien sûr que j’aimerais retrouver cette reconnaissance. Mais, il est aussi vrai qu’il y a des codes, un style de restauration qui se prête plus facilement à l'obtention de cette récompense. Ce que je veux moi, c’est que mon restaurant marche et que les gens soient contents d’y venir. Je veux partager et échanger en toute décontraction, c’est le propre du cuisinier après tout. On va sûrement monter en qualité sur l’exigence culinaire, mais je ne veux pas perdre la clientèle qui fait que j’en suis là aujourd’hui. Si mes ambitions ne plaisent pas, je les remettrai en question. Il faut trouver un équilibre entre le besoin de reconnaissance de ses pairs et le succès commercial».

Quant à Ultra burgers, il n'est pas exclu que l'enseigne fasse un jour des petits. Il rit encore: «Je ne vais pas mentir, si ça marche du tonnerre, c’est un concept facile à exporter, à reproduire. Mais deux ouvertures en 6 mois, on va déjà se laisser le temps de fonctionner. Il faut que tout soit parfait. Et, même si j’admire les réussites de chefs entrepreneurs comme Philippe Chevrier, je ne suis pas encore prêt à laisser les autres faire pour moi. Mais un jour peut-être…». Dont acte, comme on dit.

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