Polyester polluant
Comment éviter la «fast fashion» sans se ruiner?

Le polyester a remplacé les fibres naturelles dans les textiles et devient un élément majeur de la pollution plastique. Solution: préférer le coton, la seconde main et la qualité portée plus longtemps.
Publié: 22.09.2024 à 18:57 heures
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Myret ZakiJournaliste spécialisée économie
Dans cette usine Kyrgyz flambant neuve, le polyester est roi.
Photo: keystone-sda.ch

Vous achetez vos habits ou ceux de vos jeunes sur le site chinois Shein, chez la chaîne suédoise H&M ou chez l’enseigne suisse Zebra? Les vêtements sont, pour l’essentiel, fabriqués en Chine ou au Bengladesh. Leurs prix sont si bas qu’il est tentant de bourrer son armoire, puis de jeter et de racheter fréquemment des habits, qui de toute façon ne résistent pas au lavage. Problème: ces vêtements sont faits de polyester. Or ce sont des fibres synthétiques composées de matières plastiques issues des énergies fossiles et responsables d’une pollution phénoménale encore trop peu documentée.

«Il est étonnant que, malgré la lutte contre les énergies fossiles, personne n’en parle lorsqu’il s’agit de leur usage dans la fast fashion, qui est pourtant basée sur le polyester», constate Dorothée Baumann-Pauly, directrice du Geneva Center for Business and Human Rights de l’Université de Genève (GCBHR). «Or on constate que les marques augmentent toujours plus le polyester aux dépens des fibres naturelles». 

7 millions de tonnes par an

Et la production en masse aggrave la surconsommation. «La fast fashion doit tout aux prix bas du polyester, observe Veronica Bates Kassalty, consultante britannique et experte dans le domaine de la durabilité des chaînes textiles. Le polyester coûte deux fois moins cher que le coton, qui est lui-même moins cher que la laine, qui est infiniment moins chère que la soie et le cashmere. D’où la surconsommation. En outre, le marketing qui entoure la fast fashion nous incite à vouloir constamment porter du neuf, à ne pas être vu deux fois dans le même vêtement, ce qui aboutit à une pollution massive.»

Une étude publiée en juin 2024 chiffre à 7 millions de tonnes par an la fuite de microplastiques. Des tonnes de textiles invendus et usagés sont par exemple transportés chaque année par camion dans le désert d’Atacama, au Chili, où ils s’entassent. «La décomposition chimique de ces textiles enfouis sous terre ou laissés à l'air libre peut prendre des dizaines d'années et pollue l'air et les nappes phréatiques, car ils ne sont pas biodégradables», explique le site du magazine Geo.

Zéro économies

Pourtant, la consommation se poursuit de plus belle. Les soldes chez Zara ou H&M nous donnent l’impression de faire de bonnes affaires. Chez Shein, tout s’achète encore plus vite et moins cher. Mais le consommateur est rarement conscient des effets du degré de «polyestérisation» des textiles, regrette Veronica Kassalty.

En outre, imaginer que l’on économise de l’argent est un leurre, souligne la chercheuse: «Toutes les études ont montré que la fast fashion n’a pas permis de faire des économies aux consommateurs; il a été démontré qu’ils ont acheté plus d’articles et que le montant dépensé par les ménages sur les vêtements n’a pas changé.» 

Extraction

Les grandes enseignes entretiennent l’idée que le polyester est durable, ce que conteste fermement Veronica Kassalty. Tout d’abord, au stade de l’extraction: «Le polyester est issu des énergies fossiles, et ses émissions carbone sont toujours plus élevées avec la fracturation hydraulique du pétrole et gaz nécessaires à sa fabrication. Les études actuelles n’en tiennent pas suffisamment compte.» 

Frottement et lavage

Ensuite, chaque fois que l’on porte un vêtement en polyester, de minifibres se détachent et se dispersent dans la nature. Idem lorsqu’on les lave et qu’on les sèche: des microfibres se répandent dans les eaux et dans l’air. On mesure encore mal les effets de cette diffusion de microparticules. «Les nanoplastiques du polyester sont invisibles mais sont répandus partout, poursuit la consultante britannique. On le boit, on le mange, il est dans les sols, touchant même des personnes à l’autre bout de la planète qui n’ont jamais porté de polyester.»

Recyclage

Mais c’est après avoir été jeté que le vêtement devient le plus polluant. «Les microfibres qui se détachent des vêtements se répandent surtout une fois le vêtement jeté, explique Veronica Kassalty. 97% de la pollution vient de vêtements jetés qui vont répandre des micro et nano particules dans la mer, dans les airs ou dans les sols.» 

En effet, recycler des textiles en polyester s’avère peu économique. Cela a été tenté, mais l’expérience a été de courte durée: la fibre de polyester recyclée n’est pas rentable. Les marges de la production sont si faibles déjà, qu’ajouter les coûts de recyclage rend l’opération déficitaire. «Si le polyester recyclé est venu plus cher, les consommateurs ne voudront pas payer davantage. Nous voulons croire que ce que nous portons est durable, mais rechignons à payer pour cela», résume Veronica Kassalty. 

Ainsi, le recyclage peut transformer une bouteille en plastique en vêtement polyester, mais ensuite le processus de recyclage s’arrête et les vêtements jetés s’entassent à l’infini. C’est ainsi que 7 millions de tonnes se retrouvent chaque année dans la nature: une partie est incinérée, une autre est placée dans des poubelles scellées (mais il reste toujours un potentiel de fuites), et le reste est dans la nature.

Photo: AFP

Le problème vient aussi des textiles mixtes, ajoute Dorothee Baumann-Pauly: «Chez de nombreuses marques, on mélange polyester et fibre naturelle. Or, un tel vêtement ne peut pas être recyclé car il est trop onéreux de trier ces fibres». Chez H&M par exemple, les vêtements contiennent tous au moins 30% de polyester. Au final, les vêtements en fibres mixtes s’avèrent aussi peu recyclables que du 100% polyester. Dès lors, même si H&M propose à ses clients un programme de recyclage qui leur permet de déposer des vêtements usés en échange d’un bon de 5 euros, la promesse 0% déchet semble difficile à tenir. «Les marques engagées doivent admettre que les fibres mixtes ne sont pas recyclables», conclut la directrice du GCBHR.

Toxicité potentielle

Tout ce polyester en circulation pourrait représenter un risque potentiellement élevé pour la santé et l’écosystème, qui n’a toutefois pas encore été suffisamment documenté. «Dans le doute, le principe de précaution, ancré dans la législation de l’UE, dicterait de cesser l’utilisation du polyester avant d’attendre une preuve finale de causalité», prône Veronica Kassalty. «D’autant que cela ne constitue pas une utilisation essentielle du plastique. Nous avons besoin de plastique pour l’électronique, les téléphones, les ordinateurs, les avions, les voitures, ou les produits de nettoyage des hôpitaux. Mais pas pour l’habillement.» 

Certes, il est difficile de remplacer les vêtements de sport en polyester, nylon ou élasthane par des fibres naturelles, car les synthétiques sont réellement pratiques, estime Dorothee Baumann-Pauly. Mais il n’est pas indispensable de porter des jupes en polyester. «Il faut promouvoir les fibres naturelles et l’usage à long terme des vêtements.» Même s’ils sont en polyester, y compris pour le sport, la chercheuse préconise de les porter autant que possible. Chez Patagonia par exemple, des vêtements en polyester de qualité peuvent être réparés «à vie».

La question la plus simple à se poser, préconise Veronica Kassalty, «est combien me coûte un vêtement par usage? Une robe à 5 euros portée une fois, vaut bien plus cher qu’une robe à 25 euros portée 30 fois». Pour la chercheuse, il faut éviter le polyester. «J’ai un imperméable en plastique, résistant à l’eau. Mais pour le reste, j’ai davantage intérêt à acheter des vêtements en fibres naturelles de haute qualité qui dureront longtemps.» 

Proximité

Un autre critère de durabilité est le commerce de proximité. Ouvert depuis 2 ans au Flon, la boutique Memories de Yael Peccatus propose du streetwear suisse pour encourager les petits créateurs locaux. «Ce sont des marques suisses, produites en partie en Suisse. Du 100% coton pour la plupart, ce qui est souvent gage de qualité.» Certaines se spécialisent dans le fait main à Lausanne.

Mais quelques-unes doivent produire en Asie ou en Amérique du Sud, surtout les jeunes marques qui n’ont pas les moyens de tout produire en Suisse. La plupart produisent au Portugal, avec des matières recyclées, et des techniques d’impression plus écoresponsables. «Le flocage est une technique d’impression qui utilise souvent du plastique. Nous lui préférons la sérigraphie qui utilise de l’encre. Et il y a la broderie, qui est encore plus durable.» Bien entendu, des fibres de meilleure qualité signifient des prix plus élevés que la fast fashion, qui a habitué le public à des prix dérisoires. 

Engouement pour la seconde main

Autre atout de durabilité: la seconde main. «Nous constatons une demande en hausse pour les vêtements d’occasion. Nous proposons des pulls de marque en très bon état, Nike, Adidas, Lacoste, ou des jeans Levi’s 501 aussi bons que neufs. Cela donne une seconde vie à des habits de bonne qualité dont les prix sont plus avantageux pour les clients. En outre, cela permet de se distinguer en portant des modèles vintage, que pas tout le monde ne porte, contrairement à l’uniformité qui prévaut actuellement.»

Pour l’entrepreneur lausannois de 22 ans, en plus d’être polluante, «la fast fashion nous fait perdre le goût des belles choses, elle est fade, répétitive, sans matières nobles. Au contraire, la seconde main donne une âme à la façon dont on s’habille, ajoutant un peu de fraicheur. S’habiller chez les petites marques ajoute l’originalité à la durabilité». 

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