Credit Suisse vit une crise historique. Lorsqu’on essaie de remonter dans le passé pour voir quand l’action CS a déjà valu 2 francs, on constate que, même en 1989, elle valait dix fois plus qu’aujourd’hui (et aucun site ne remonte plus loin).
Mais alors que s’est-il passé depuis 2009 pour qu’en 14 ans, Credit Suisse perde 97% de sa substance et se retrouve dépendante des fonds de la BNS? Et que deviendront nos avoirs si on est client? Blick fait un point détaillé de la situation.
Comment une grosse banque comme Credit Suisse peut-elle faire faillite?
La banque a enregistré 6 années de pertes sur les 10 dernières: de 2021 à 2023 (prévu), et de 2015 à 2017. En cause: des scandales en série, comme Greensill et Archegos (qui a coûté 5,5 milliards), des correctifs de valeur, des cas de blanchiment, des faiblesses dans les contrôles internes. Des épisodes qui ont trahi une gestion des risques obstinément défaillante. Résulat: pertes abyssales de 7,3 milliards l’an dernier, et de 2 milliards en 2021.
Il y a aussi l’affaire des filatures (2019), qui a gravement mis en cause la gouvernance de la banque. En arrière-plan, une faiblesse stratégique: l’unité de banque d’investissement et de trading, qui avait fait l’identité de Credit Suisse, n’est plus que l’ombre d’elle-même. Trop dépendante du marché américain, elle y a perdu ses lettres de noblesse. Il y a aussi l’amende record de 2014 (2,5 milliards) en lien avec la soustraction fiscale de clients américains.
Et la difficulté à se développer en Asie, un marché qui s’avère très exigeant. Au final, après le plongeon boursier de 2022 et la hausse des taux d’intérêt, les rumeurs ont tourné autour du CS tels des vautours, entraînant une hémorragie de fonds de clientèle, qui se poursuivent cette année.
Sur la situation de Credit Suisse
Il faut dire aussi que l’Histoire tourne en défaveur de la finance traditionnelle, délaissée par les investisseurs car disruptée par l’IA, la numérisation, l’essor du quantique. Des néobanques comme la britannique Revolut captent l’essentiel de la valeur. Cette app bancaire créée en 2015 vaut aujourd’hui 33 milliards de dollars, soit quatre fois plus que Credit Suisse. Une prime à l’innovation technologique récompense d’autres modèles de services financiers, qui se créent ailleurs qu’en Suisse.
D’un autre côté, la banque de la Paradeplatz a généreusement rémunéré ses dirigeants pour des résultats peu probants. C'est surtout lors de la «décennie perdue» de 2011-2021, marquée par une chute du cours de l’action Credit Suisse de 80%, que les rémunérations ont été excessives et déconnectées des résultats. Celui qui a présidé la banque durant cette période, Urs Rohner, a par exemple touché près de 50 millions de francs malgré la sous-performance. Après l’affaire des filatures, il n’a pas souhaité rendre une partie de sa rémunération, comme l’avaient fait en leur temps les dirigeants d’UBS.
Quant à l’ex-CEO du CS, Tidjane Thiam, qui a dirigé la banque entre 2015 et 2020, il a touché environ 70 millions, tandis que l’action chutait de 55% sous sa direction. «Des rémunérations qui ont donné l’impression que la banque n’était pas là pour ses clients mais pour payer ses dirigeants», résume un ex-banquier.
Quels sont les risques si j'ai mon argent chez Credit Suisse?
Tout d’abord, les petits épargnants n’ont rien à craindre: rappelons qu’en Suisse, les dépôts bancaires sont couverts par une garantie jusqu’à hauteur de 100’000 francs en cas de faillite. Pour les dépôts de cash plus élevés que ce qui est garanti, la banque a mis en place des taux d’intérêt supérieurs au marché afin de les récompenser pour le risque pris.
Reste à savoir où en sont les retraits de fonds de clientèle. «La situation n’est pas encore stabilisée», selon des sources internes. Bloomberg le confirme: des clients aisés d’Asie ont continué de réduire leur exposition à Credit Suisse cette semaine, et des clients du Moyen-Orient ont demandé à convertir des dépôts de cash en bons du Trésor. En Allemagne, un gérant indépendant a reçu des demandes de clients du CS voulant transférer leurs dépôts chez lui. En Suisse, les banques cantonales et les petites banques privées profitent aussi de transferts de clientèle suisse.
Si la situation de la clientèle ne se stabilisait pas, la Confédération pourrait organiser des ventes séparées de différentes activités, à commencer par le portefeuille des hypothèques, dont la qualité est très bonne. Il existe, sur le marché suisse, de nombreux acteurs du marché hypothécaire disposés à reprendre un portefeuille de cette qualité.
De même, l’activité de crédit aux entreprises, et celle de gestion des avoirs de prévoyance, trouveraient preneur et complèteraient avantageusement de nombreux portefeuilles bancaires. Des cessions de ce type mettraient à l’abri la clientèle, et permettraient, en cas de forte détérioration de la situation, à Credit Suisse de se tourner vers sa restructuration urgente. Mais la direction vise bien sûr à conserver l’indépendance du groupe et poursuivre ces activités, qui redeviendraient son cœur de métier.
Comment Credit Suisse peut-il chuter malgré son capital?
L’affaire Credit Suisse montre qu’une banque qui affiche un ratio élevé de capital ne peut rien faire si le marché perd confiance en elle. En effet, la banque n’a cessé de répéter que son ratio de fonds propres de 14% allait bien au-delà des exigences suisses, mais cela n’a pas calmé les craintes. Selon Bloomberg, des banques américaines et françaises rechignent à être des contreparties pour des produits émis par la banque aux deux voiles. Même un bilan de premier de classe ne garantit par la confiance. Si bien que la banque, malgré cela, a sollicité un crédit d’ampleur historique de la BNS.
Credit Suisse ne pourrait se financer toute seule, si les prêts interbancaires se tarissaient, faute de confiance des autres acteurs. La morale de l’histoire est qu’aucun niveau de fonds propres ne peut résoudre le problème systémique de la perte de confiance du marché, qui prive une banque de liquidités. C’est pourquoi une banque très bien capitalisée peut sombrer et devoir tendre la main à la banque centrale. Invoquer le ratio de capital ne sera plus un argument de solidité ou même de solvabilité suffisant. Il reste une réglementation à trouver qui puisse sécuriser les banques contre les interdépendances et les mécanismes de contagion systémiques.
L'aide de la BNS peut-elle sauver Credit Suisse?
La réponse à la crise traversée par Credit Suisse, ce 16 mars, a été l’aide de la BNS, à travers les liquidités de 50 milliards de francs mises à disposition de la banque. Cela n’a pas suffi à rassurer le marché. Les doutes ont rejailli dès le soir. Quel sera l’avenir de Credit Suisse? Sur le marché amériain, les obligations la banque en dollars ont perdu de la valeur. Quant aux dérivés de crédit de la banque (qui indiquent le risque de faillite perçu par les investisseurs), ils ont affiché un risque très élevé. Une plainte collective a même été déposée par des actionnaires américains fâchés contre Credit Suisse et ses dirigeants.
Au plan politique en Suisse, les reproches adressés à la BNS de ne pas verser cette année de bénéfices aux cantons ont refait surface lorsqu’elle a rapidement trouvé 50 milliards à prêter à Credit Suisse. Des choix qui prêtent à discussion d’autant que la BNS elle-même a vu ses fonds propres fondre l’an dernier suite à des pertes massives, passant de 20% du bilan à 7%. Elle-même sous-capitalisée, elle doit renforcer son capital.
Credit Suisse pourrait-il être sauvé par la Confédération?
Si Credit Suisse devait nécessiter davantage qu’une facilité de crédit, la Confédération pourrait venir garantir la totalité des dépôts, comme cela s’est fait aux Etats-Unis dans l’affaire Sillicon Valley Bank. Mais l’acceptation n’est pas gagnée sur le plan politique. Déjà à propos du prêt de la BNS, certains libéraux-radicaux ont estimé qu’une entreprise privée, qui ne pose pas de risque de contagion, devrait trouver ses propres solutions de sortie de crise. Des socialistes ont estimé pour leur part qu’une aide publique devrait être rémunérée correctement, en s’accompagnant d’une participation au capital. Reste qu’une nationalisation correspond très peu à la culture des affaires en Suisse.
Enfin, sauver une banque internationale avec l’argent du contribuable ne se ferait pas sans divisions en Suisse. «La grande différence avec la Sillicon Valley Bank est que 80% des déposants étaient des sociétés ou des privés américains. Chez CS, il y a au maximum 50% de clients Suisses. Le reste vient de l’étranger. Les Etats-Unis n’auraient peut-être pas autant aidé SVB s’il y avait une majorité de clients étrangers, car seul le sauvetage de leurs propres ressortissants est politiquement porteur», analyse Stefan Kremeth, spécialiste des marchés financiers et fondateur d’Incrementum Advisors.
Et en effet, ce 16 mars, un client asiatique ultra-riche aurait décidé, selon Bloomberg, de retirer le tiers de ses fonds du CS car il n’a pas reçu l’assurance qu’en cas de danger, les avoirs de la clientèle étrangère seraient tout aussi protégés que ceux de la clientèle suisse.
Credit Suisse pourrait-il être sauvé par les banques du Golfe?
A ce jour, Credit Suisse est détenu à 20% par des actionnaires du Golfe. La Saoudi National Bank compte pour 10%, la famille saoudienne Olayan pour 5%, et le Qatar pour 5%. Ces entités accèdent ainsi à un savoir-faire bancaire suisse, en échange de leur capital. Mais leurs ambitions sont ailleurs. La Saoudi National Bank, qui pèse 10 fois plus que Credit Suisse en bourse, est détenue à plus de 37% par un fonds souverain saoudien. Ses ambitions se focalisent sur le financement d’un vaste programme de diversification de l’économie saoudienne («Vision 2030») que projette le Prince Mohammed Ben Salmane.
Selon toute probabilité, elle ne sautera pas sur l’occasion d’avaler Credit Suisse, même pour une bouchée de pain. Des sources nous ont confié qu’une banque appartenant à des actionnaires souverains pourrait se voir exposée à un risque accru de sanctions en Occident.
Selon une source interne, Credit Suisse aurait notamment approché le fonds souverain norvégien il y a quelques mois en vue de discuter d’une participation de ce dernier, qui aurait toutefois décliné. Contactée, Credit Suisse ne commente pas cette information. Un vétéran de la finance juge que si une transaction de rachat se faisait, «ce serait quasiment pour 1 franc symbolique: un sauvetage en échange d’une reprise gratuite.»
Credit Suisse pourrait-il fusionner avec UBS?
La Confédération et les deux grandes banques discuteraient au sujet d’une éventuelle fusion, a indiqué Bloomberg le 16 mars. Mais UBS aurait exprimé ses réticences à ce projet et préférerait développer en solo sa précieuse franchise de private banking, dont la réputation reste impeccable. En réalité, pour Credit Suisse aussi, une telle fusion poserait problème. Si la banque souhaite se rencentrer sur la Suisse, elle aurait besoin de conserver son marché phare et ses points de vente. Or un rachat par UBS créerait un maximum de doublons justement sur le marché suisse. Ce qui affecterait les de places de travail. En 1997, à la fusion UBS-SBS, 13’000 places de travail avaient été supprimées.
Et Credit Suisse, en plus de céder sa banque d’affaires et d’autres activités internationales, devrait potentiellement se démanteler en Suisse aussi pour répondre aux exigences de la Commission fédérale de la concurrence. Cette dernière, pour éviter une position dominante de UBS-CS sur le marché suisse, réclamerait des scissions d’activités. Il ne resterait alors plus grand-chose de la banque aux deux voiles, à part qu’elle ramènerait 1300 milliards d’avoirs de clientèle privée dans l’escarcelle – réjouie – d’UBS. Ce qui est certain, en revanche, est que les actionnaires du Golfe seraient disposés à se délester de leurs actions en faveur d’un racheteur, qu’il soit suisse ou international.
Credit Suisse va-t-il quitter le SMI?
A l’interne, chez Credit Suisse, des sources anticipent que la banque devra sortir cet été de l’indice SMI qui inclut les 20 valeurs les plus importantes et les plus liquides de la Bourse suisse. Ceci, en raison de la forte chute de sa capitalisation boursière. L’indice SMI est révisé chaque année en juillet. Les membres devenus trop petits en sortent, et d’autres, qui ont grandi, y entrent. Il est par exemple prévu qu’à un moment donné, la SGS (qui pèse le double du CS) va sortir, et sera remplacée par Sonova. Désormais, Credit Suisse fait partie des candidats à la sortie. Lors de la révision de juillet dernier, le titre avait été maintenu de justesse dans le SMI, après avoir déjà perdu un tiers de sa valeur depuis 2021.
En effet, la bourse suisse SIX tient aussi compte du volume des transactions, et Credit Suisse cochait encore cette case. «La sortie du SMI aurait des conséquences: le titre serait moins visible pour les gros fonds et on verrait moins de volumes échangés sur le titre, ce qui serait aussi moins pratique pour émettre des emprunts», estime Stefan Kremeth. Contactée, la banque n’a pas voulu commenter sa possible sortie du SMI.
Quel avenir pour Credit Suisse?
Le CEO, Ulrich Körner, a indiqué que la banque veut se rencentrer sur la Suisse. Et cela est évident: ces activités sont là où se concentre la valeur du groupe. Les projets d’expansion en Asie semblent, pour l’heure, suspendus. «Il faut s’avoir que le marché asiatique est très difficile, que les clients y négocient durement les frais. Au fond, seule HSBC y est réellement rentable», estime un banquier expérimenté.
Si Credit Suisse réussit son recentrage sur le marché suisse, ses chances de survie sont bonnes, et les avoirs de la clientèle seraient sécurisés. Credit Suisse deviendrait une banque locale, proche des clients, sans exposition à des activités risquées à l’international. Ces dernières représentent un passif, présent et futur. En revanche, la banque mettrait plusieurs années à devenir profitable sous sa forme redimensionnée, en raison du coût des cessions et amortissements, et de la croissance plus sage qu’offre le marché suisse.
«En réalité, si l’on ne prend que le business suisse et qu’on ôte le reste de l’équation, la valeur de la banque augmentera, estime Stefan Kremeth, car les bénéfices futurs escomptés seraient meilleurs sans le badwill des autres activités (valeur négative qui escompte des pertes futures).» La traversée du désert que vit Credit Suisse est similaire à celle qu’a connue, avant elle, Deutsche Bank, estime Valérie Noël, cheffe du trading à la banque Syz. L’experte genevoise des marchés indique que Syz ne recommande pas d’investir dans le titre Credit Suisse pour l’instant. Mais Deutsche Bank avait réussi finalement à sortir de cette mauvaise passe et la confiance des investisseurs était revenue envers le groupe. «L’action Deutsche Bank avait fortement chuté, puis après une série de restructurations, la profitabilité s’est améliorée et la marque est finalement restée très forte.» Un scénario similaire pourrait se répéter avec le CS, prédit-elle.
Si UBS a réussi à survivre à 2008, il y a peut-être un espoir pour Credit Suisse. Même si le contexte s’est encore un peu durci depuis.