L’euro se dévalue
Est-ce la «fin» de l’euro?

Quand l’euro baisse, on prédit sa disparition. Quand le dollar monte, on souligne sa suprématie. Dans les deux cas, on confond le taux de change d’une monnaie avec son statut international. Or, ce sont deux choses bien différentes. Explications.
Publié: 09.11.2022 à 06:20 heures
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Dernière mise à jour: 05.01.2023 à 10:59 heures
Pour une monnaie, avoir un taux de change élevé ne signifie pas forcément un statut puissant à l’international.
Photo: Shutterstock
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Myret ZakiJournaliste spécialisée économie

Depuis un an, l’euro a perdu 14% face au dollar, et 6,4% face au franc suisse. Ici et là, on a vu fleurir des annonces de fin de l’euro. Sa disparition, il faut dire, est annoncée régulièrement depuis la crise de la zone euro d’il y a 10-12 ans.

L’euro a perdu 14% contre le dollar depuis 1 an
Cours du dollar pour 1 euro (au 6.11.22)

De même, alors que le dollar s’apprécie depuis la guerre en Ukraine, d’aucuns y voient le triomphe du «roi dollar» et la preuve de sa suprématie intacte au plan international.

Le dollar a gagné 9,4% contre le franc suisse depuis 1 an
Cours du franc pour 1 dollar (au 6.11.22)

Ce sont des raccourcis trompeurs. On va donc s’interroger: une monnaie qui monte est-elle forcément puissante au niveau international? Et une monnaie qui baisse va-t-elle dépérir? La réponse est non, pour deux raisons principales:

  1. On confond souvent le taux de change du moment avec le statut ou l’influence d’une monnaie. Mais ce sont deux choses différentes. En réalité, une monnaie dont le taux de change du moment décline, peut être une monnaie influente. C’est le cas du dollar. À de multiples périodes, il a perdu de la valeur face aux autres monnaies, tout en gardant une place dominante dans le monde. De même, une monnaie peut avoir un taux de change très élevé sans être un poids lourd au niveau international, comme le très fort franc suisse. Ou comme le dinar koweïtien, classé comme la monnaie la plus forte au monde (car il faut 3,26 dollars pour acheter 1 dinar).
  2. Une monnaie qui s’apprécie contre certaines monnaies peut se déprécier en même temps contre d’autres monnaies. Quand on dit que le dollar s’«apprécie», on ne dit pas contre quelles monnaies. C’est là que des erreurs de perception se glissent. Cette année, le dollar ne s’est pas apprécié contre toutes les monnaies. Il s’est surtout apprécié contre les monnaies des pays développés (euro, yen, livre sterling). Mais pas contre les monnaies émergentes comme le réal brésilien par exemple. Il faut donc être précis lorsqu’on parle de la hausse d’une monnaie, car selon que le dollar est face à l’euro ou au réal brésilien, son évolution n’est pas du tout la même. Le dollar a perdu 9% cette année contre le réal.

On a donc vu que, pour une monnaie, avoir un taux de change élevé ne signifie pas forcément un statut puissant à l’international, ni même que son appréciation puisse être généralisée. Analysons maintenant ce qui détermine un taux de change élevé, par opposition à ce qui détermine un statut influent.

Un taux d’intérêt élevé signifie un taux de change élevé

Le taux de change dépend principalement du taux d’intérêt. Si le dollar est monté ces derniers mois, c’est d’abord parce que les taux d’intérêt américains ont été fortement relevés, passant de 0,25% à 4%. En effet, l’épargne se dirige vers les monnaies qui la rémunèrent le plus. C’est le principal facteur de la hausse du dollar aujourd’hui contre les monnaies à plus faible taux d’intérêt. En somme, le niveau d’une monnaie dépend beaucoup de la récompense qu’elle offre aux investisseurs qui s’y placent. Plus son taux d’intérêt dépasse celui d’autres pays, plus la monnaie gagne contre les monnaies de ces pays. Les États-Unis affichent actuellement un taux d’intérêt de 4%, contre 1,5% pour la Suisse, d’où la hausse du dollar contre le franc.

Le taux d’intérêt américain est monté de 0% à 4%. En même temps, le $ montait face au CHF:

Quant à l’écart entre dollar et euro, il est aussi à chercher du côté du différentiel de taux d’intérêt. Le taux d’intérêt sur l’euro est resté bas plus longtemps que celui du dollar. Ce qui signifie que les investisseurs en euros étaient moins rémunérés que ceux investis en dollars. C’est cet écart de taux d’intérêt qui explique que, dans la première moitié de cette année, les investisseurs ont vendu l’euro (qui a donc baissé), pour se placer en dollar (qui est monté).

Écart de taux d’intérêt entre le dollar (en bleu) et l’euro (en jaune)

Ces écarts ne sont pas intentionnels. C’est par nécessité que les États-Unis ont relevé leurs taux d’intérêt: ils étaient obligés de lutter contre l’inflation élevée et persistante aux États-Unis. C’est là qu’elle s’est manifestée en première, avant d’arriver sur le Vieux Continent. L’UE a ensuite suivi le mouvement en relevant ses propres taux, mais avec un décalage par rapport aux USA. C’est à la faveur de ce décalage que le dollar est monté contre l’euro. Par contre, le Brésil avait, lui, déjà relevé ses taux d’intérêt avant les États-Unis, à plus de 13%. L’écart s’est creusé au profit du réal brésilien, d’où l’appréciation de ce dernier face au dollar.

Une stabilité élevée signifie un statut important

Le statut d'une monnaie ne dépend pas des fluctuations des taux de change à court terme, mais de la stabilité d’une monnaie à long terme. Il signifie son importance dans le monde et n’est pas lié au fait qu’elle monte ou descende sur quelques mois, mais au fait qu’elle reste stable sur la longue durée. C’est cela qui détermine ses qualités de monnaie de réserve pour les autres pays et de valeur refuge pour les investisseurs. Bien sûr, le statut dépend aussi largement de la puissance militaire du pays, de son taux d’endettement et de son poids commercial. C’est pourquoi le dollar et l’euro ont été jusqu’ici les deux monnaies les plus influentes d’après-guerre, avant de voir leur position se détériorer ces dernières années.

Une longue dépréciation menace le statut

Si une monnaie se dévalue sur le long terme, cela signifie qu’elle n’est pas stable et c’est là que son statut peut être menacé. La dépréciation de l’euro et du dollar sur le long terme est actuellement en train d’affecter leur puissance. La part du dollar dans les réserves des banques centrales du monde est passée de plus de 70% à moins de 59% en 15 ans. L’euro, lui, a décliné de 25 à 20,6%. Pendant ce temps, le yuan chinois est passé de 0 à 5%.

Les banques centrales n’apprécient pas de voir leurs réserves fondre en raison d’une dévaluation des monnaies de réserve sur la longue durée. Il y a 40 ans, il fallait deux francs suisses pour acheter un euro. Aujourd’hui, il suffit d'un franc. De même, le dollar a, lui aussi, perdu la moitié de sa valeur contre le franc suisse sur 40 ans. Cela signifie que, même si son taux de change augmente pour des raisons conjoncturelles cette année, son influence à long terme diminue.

Le danger fatal : l’inflation

À terme, le danger qui guette vraiment la puissance des monnaies comme le dollar et l’euro porte un nom: l’inflation. Cette dernière a eu raison des plus grandes monnaies de l’histoire. L’inflation réduit le poids et l’importance des monnaies dominantes, relativement à d’autres valeurs refuges comme l’or. La dévaluation affaiblit aussi le dollar et l’euro aussi face à de nouveaux challengers comme le yuan chinois. Ce dernier s’est apprécié de 15% face au dollar et de 30% face à l’euro sur 15 ans. Entre grandes monnaies, le choix se fait selon la stabilité, le niveau d’endettement, la puissance commerciale et la puissance militaire. Les avantages des monnaies occidentales se sont nettement réduits à ces niveaux.

En conclusion, la puissance d’une monnaie n’a pas tant à voir avec le taux auquel elle s’échange ces jours-ci face aux autres monnaies, qu’avec l’évolution de sa valeur sur la longue durée, et l’existence de monnaies alternatives, moins dévaluées, soutenues par de grandes puissances économiques.

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